Une nouvelliste et romancière : Désirée Boillot

Désirée a une plume magique. Ses écrits sont vifs, enlevés et percutants. Elle décrit les travers humains avec un humour caustique qui nous transporte de bonheur. Bon nombre de ses nouvelles ont été récompensées dans des concours réputés.

 

Voici deux romans de Daisy publiés par Zonaires, antérieurement au recueil de nouvelles "La passerelle du hasard" annoncé en page d'accueil.

 

 

 

 

 

 

 

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Outre les ouvrages déjà évoqués, Daisy a publié :

 

"Au delà des dunes..." conjointement avec Alain Emery et Annie Mullenbach aux éditions "Nouvelles Paroles", 2010

 

"Le moindre mal", "La traversée du désert", "Léon", "Courage mon double", quatre nouvelles dans quatre petits livrets de la collection Miniliv' des éditions du Banc d'Arguin, 2011.

 

"La mouche", recueil de 12 nouvelles chez L"Harmattan, 2014.

 

Un grand plaisir de lecture asssuré avec les  huit nouvelles de Daisy qui suivent :

 

1) Homo politicus

2) Recherche d'emploi

3) Traquenard dans un hamac

4) Fin guidon

5) Papino

6) Coup de Balai

7) Au rendez-vous de la gloire

8) Ce lundi-là



 

 


Homo politicus

 

 

A soixante ans passés, Marcel Charkonak aimait à se remémorer le secret qu’il confiait, entre deux roudoudous, à l’oreille attentive de sa chère maman Lulu : Quand je serai grand, je serai Président de la République. Cette phrase pleine d’enthousiasmantes perspectives l’avait rendu célèbre dans la famille. Il n’était pas seulement le petit Marcel qui avait un faible pour les roudoudous, mais celui qui, un beau jour, troquerait les bonbons de l’enfance contre le poste glorieux de chef de l’Etat. Il avait toujours poursuivi le même rêve, avec acharnement.

 

Les élections approchaient. A l’Elysée, on avait commandé des boîtes pour l’archivage d’un trépidant quinquennat fait de bas très hauts, et de hauts très bas. Le Président sortant s’appelait Jean-Aymar du Marasme, et son visage ravagé prouvait combien l’épreuve avait été rude, malgré un séjour de remise en train avec cours intensif d’ukulélé, dans un palace fleuri de Pépète, Polynésie. Il était grand temps qu’il renonçât à la charge écrasante des affaires de l’Etat. Au cours des cinq dernières années, son équipe en place avait abattu un boulot considérable. Elle s’était appliquée à donner à la chose politique un nouveau visage. On avait fait table rase du passé avec une efficacité redoutable. Même la constitution de la République était bonne à mettre à la casse ! Tout était à refaire. Insensiblement, les partis de gauche et de droite s’étaient dilués au profit d’un immense Milieu, où tous les coups étaient permis. 

 

Côté médias, la donne était nouvelle. Les candidats à la présidence devaient accepter de se montrer sous toutes leurs faces, côté cuisine comme côté jardin. L’équilibre entre ces deux pôles n’étant pas facile à trouver, de nouveaux chevaliers apparurent, les conseillers en communication. Souvent, leurs avis différaient. Certains prônaient l’étalage des hobbies à la télévision, – il n’y avait aucune honte à ce que les téléspectateurs apprissent que dès le vendredi soir, Fernand Fripouillard, (leader incontesté du Parti du Milieu de Terrain), filait à son cours d’accordéon, pourvu qu’il sût en parler avec des accents sincères –, d’autres penchaient pour la confidence des problèmes domestiques – qu’ils soient apparus avec le conjoint, les enfants, le chihuahua, l’entourage, tout était bon à déballer à une heure de grande écoute –, d’autres encore préconisaient le sourire à l’épreuve des balles, mais aussi et surtout, l’entretien d’un teint hâlé de janvier à décembre. Les instituts de beauté faisaient fortune.

 

Si les as de la communication dispensaient des conseils différents, tous s’accordaient à reconnaître que ce qu’il fallait viser, avant toute chose, c’était l’effet : « Plus près de toi, mon peuple », et non : « Hollywood, chewing-gum ». Ainsi, le glamour était banni. Il était vital que les candidats fussent considérés par leur électorat comme de bons petits gars capables, l’heure venue, d’inviter les éboueurs à une joyeuse collation entre deux bennes d’ordure à vider à la décharge. Pour tous ceux qui se tenaient sur des starting-blocks, les dents en avant, guettant l’annonce officielle du lancement de la campagne à la présidence, c’était là une règle d’or.

 

L’échéance se rapprochant à grands pas, on constata en avant-première, dans des tabloïds à sensation, que certains prétendants au poste suprême avaient appliqué les recommandations de leurs conseillers au pied de la lettre. On pouvait les voir sur une pleine page qui descendaient leurs poubelles en caleçon, sortaient Mirza en agitant un sac réglementaire fourni par la mairie, ramassaient dans le caniveau avant le passage des motocrottes, mangeaient bio, plantaient leurs choux bien alignés et triaient leurs déchets à la perfection, le verre à droite, le papier à gauche, tout le reste au milieu. Une vie banale, en somme.

 

Les jours défilaient à vive allure. On se bousculait au portillon des médias, qui crépitaient à l’unisson. Des portraits de candidats étaient placardés sur les murs, aussitôt recouverts par d’autres visages. Il n’était pas rare que les panneaux d’affichage s’effondrassent sous le poids de la colle. Les émissions politiques s’étaient multipliées. Avant le lancement d’un reportage dit «d’intérêt public», les chaînes s’évertuaient à dénicher un jingle de générique suffisamment hypnotique pour bloquer tout réflexe de zapping dans le poignet du téléspectateur. Du bas jusqu’en haut de l’échelle, à tous les barreaux, il fallait absolument séduire. Le Français des villes et le Français des champs, le Français bloggueur et le Français surfeur, le Français Fauchon et le Français fauché, le Français domestique, le Français sauvage, le Français portant à gauche mais votant à droite, et inversement, il fallait tous les conquérir. Quant aux Françaises… Brunes, blondes, rousses ou teintes en vert, il fallait toutes les emballer, et plus vite que ça, non mais ! La Française Omo et la Française Persil, la Française à nattes et la Française à couettes, la Française Aquoibon et la Française ZyvaZizou, la Française Lola, la Française Rastaquouère, la Française en forme, la Française en panne, la Française à lunettes et la Française à barbe. Il fallait ratisser large.

 

Marcel Charkonak connaissait les règles du jeu, dont il ne s’inquiétait guère. Il fuyait les excès, les saillies, les bons mots, les pantalonnades. Il  était le seul candidat à arborer un teint d’endive et des costumes mal repassés. Il n’avait pas de conseiller en communication. Il était calme. Pépère tranquille. Depuis qu’il avait embrassé la carrière d’homme politique, il passait pour le Président du Parti du Milieu du Centre. Il adoptait un profil ni haut ni bas, mais toujours intermédiaire. Il pouvait se le permettre ! Il avait la conviction inébranlable que son tour arrivait, même si beaucoup semblaient avoir pris plusieurs longueurs d’avance sur lui. Le désir de laisser sur le carreau son concurrent direct, Cédric Gallopin, le démangeait depuis des mois, mais il n’en laissait rien paraître. Gallopin était le Chef du Parti du Centre du Milieu, dont le siège était situé sur la rive gauche de la Seine, alors que celui de Charkonak se trouvait sur la rive opposée. C’est dire s’ils étaient antinomiques ! 

 

Quand la course à la présidence fut officiellement lancée, Marcel Charkonak attendit le dernier moment pour faire part de sa candidature. En habile diplomate, il avait su tempérer ses ardeurs de jeunesse. Il déclina poliment les offres tapageuses des médias. Les confrontations télévisuelles en prime time auraient donné lieu à des débordements inutiles, et rédhibitoires pour la suite. Ce qu’il voulait, c’était incarner la sérénité. Pour cela, une attitude posée était indispensable. Il accordait quelques interviews, de-ci de-là, - comme on remplit quelquefois une petite grille de Loto entre deux Picon bière -, uniquement pour indiquer qu’il était toujours dans la course. Aux élections précédentes, Marcel avait été malheureusement battu à la suite d’un lancer de peau de banane qu’il n’avait pu esquiver à temps, mais dont il avait su tirer des leçons de conduite politique. Il avait tempéré sa fougue, renoncé aux sarcasmes dont il était coutumier. Il ne confiait plus aucun secret aux journalistes, de peur que ceux-ci n’en fissent leurs choux gras dans un livre à gros tirage.

 

Quelque temps auparavant, un best-seller sur la passion mouvementée de Guy Goultard, - l’ancien Président du Parti du Milieu de la Zone - pour Kiko Kulbuta, une belle Espagnole dotée d’un tempérament de feu, s’était vendu à des centaines de milliers d’exemplaires, l’obligeant à démissionner. L’ouvrage ne comptait pas moins de cinq cents pages consacrées aux activités extraprofessionnelles de Goultard. Elles étaient coupées par un cahier central de photos inédites dudit Président déguisé en Batman, monté sur une commode et dominant Kiko, enchaînée nue aux barreaux du lit. L’auteur de l’ouvrage, - un certain Franz Olivert Gibbon -, avait jugé utile de préciser que ce jour-là, Guy Goultard s’était pris les pieds dans sa cape, et avait fini à l’hôpital.

 

Marcel Charkonak trouvait odieux que l’on se servît de la vie privée à des fins publiques. Il n’avait pas de temps à perdre avec les ragots. Qu’il eût pris jadis des cours particuliers de pétanque ne regardait personne d’autre que lui ! Par le passé, il avait dû recoller les morceaux épars de sa personnalité d’homo politicus, mis K.O. par des adversaires irréguliers. Il s’était recomposé comme on répare une marionnette, clou par clou, pièce par pièce, ressort par ressort, avec patience et méthode, sous le regard bienveillant de Maman Lulu. Au fil des années, son personnage d’homme paisible, décontracté sans ostentation, s’était affiné. Il avait travaillé. Creusé dans la tempérance. Il avait réappris à sourire sans grincer des dents, réappris sa France à lui.

 

C’est ainsi qu’un beau jour, saisi d’une heureuse inspiration, il avait ressorti son vélo des familles. Ça, c’était le plus. L’astuce absolue, l’étincelle fulgurante. Le trait de génie ! Où qu’il allât, il ne partait jamais sans sa bécane. Il prenait le T.G.V. avec elle, le bus, l’avion, le métro avec elle. Il allait sur les routes de France en poussant sur les pédales, par tous les temps. C’était sa campagne à lui, et sur deux roues seulement.

 

Lorsqu’il eût sillonné sur son vélo chaque département de l’hexagone, il monta à l’assaut de la capitale. Cela se sut. A Paris, il suffit d’un simple petit bruit de couloir pour qu’aussitôt, celui-ci se répande comme une traînée de poudre. Les Parisiens se mirent à sortir le dimanche pour tenter de l’apercevoir, penché sur son guidon. On guettait aux fenêtres, caméra au poing, le cœur battant. Marcel Charkonak n’était dupe de rien. Il avait appelé cela ses « rendez-vous dominicaux », et pour rien au monde il ne les aurait ratés. Il actionnait la mécanique dans un costume élimé, les poches bourrées de roudoudous à la fraise qu’il distribuait généreusement en attendant le feu vert. Parfois, il emmenait Madame prendre l’air, quand le parcours en valait la peine. Il passait, joyeux, poussant la chansonnette, mais toujours mezzo voce. A vélo, dans Paris, on dépasse les taxis, à Paris, en vélo, on dépasse les autos, et tout le monde, sur son passage, était conquis.

 

Tenu au courant des fantaisies vélocipédiques de Charkonak, Cédric Gallopin s’acheta une belle bicyclette rouge groseille. Il n’allait certainement pas se faire damer le pion, si près du but ! Un dimanche, alors qu’il descendait les Champs-Elysées debout sur sa selle – cela pour contredire la rumeur selon laquelle il n’était pas cap’ de le faire –, il brûla un feu et s’emplafonna dans une ambulance. Les médias voraces s’emparèrent de l’affaire. A deux semaines des élections, des photos des ligaments rompus de son genou gauche circulèrent un peu partout. On jasa. On se gaussa. On se tint les côtes ! Ce fut le coup de grâce. Soudain, la voie était libre.

 

Marcel Charkonak fut élu dans la liesse. Quant à Maman Lulu, elle expira dans un soupir d’extase. 

 

*

 

© Désirée BOILLOT


Désirée nous offre ici une satire sociale sans concession. L’obsession du profit conduit les grands épiciers et leurs publicitaires à regarder les gens comme ils voudraient qu’ils soient, de gentils toutous faisant le beau pour avoir le susucre. Désirée joue le jeu...

 

 

Recherche d’emploi

 

L’autre jour, je suis tombée sur une offre d’emploi épatante, qui émanait de la Société Vénérable, − une banque suffisamment aimable pour donner de l’argent gratuitement à tous ses distributeurs −, et qui commençait par : Société Vénérable vous dit trois fois oui dans un gros encadré rouge framboise. Youpi. Moi qui adore les gens qui me disent oui, cette annonce semblait parfaitement cadrer avec mes aspirations secrètes, donc tout de suite, je me suis plongée dans le premier paragraphe : Ce que vous aimez dans la société en général, vous l’aimerez dans la nôtre en particulier.

 

Wouah. Ciel. Ça m’a coincé une bulle quelque part. Que c’était bien dit, tout de même. C’était de la philosophie, de la vraie, qui s’adresse aux initiés, et non aux amateurs qui croient que Vico, c’est le roi de la pomme de terre (alors que chacun sait qu’il existe un Giambattista du même nom, philosophe de son état, qui vivait paisiblement à Naples à cheval entre le 17ème et le 18ème siècle mais qui s’en portait fort bien ma foi, filez vérifier sur Gougueule). Mais revenons à la première proposition de cette belle phrase. Qu’est ce que j’aimais dans la société en général ? Pas facile. Subtil. Ça faisait germer en moi un véritable questionnement philosophique (Où va-t-on ? Que fait-on ? Y a-t-il du jambon ?) Je n’allais tout de même pas aborder un quidam dans la rue pour savoir ce que lui aimait dans la société en général, vu que certains sont tout à fait capables de vous répondre qu’ils aiment les frites, les teufs et les meufs qui posent des questions à la con, et tout ça avec un œil lubrique.

 

Donc je me suis abstenue d’interroger le premier passant, j’ai abandonné la deuxième proposition de la phrase qui volait trop haut pour moi, et j’ai continué ma lecture de l’annonce :

 

La quarantaine épanouie et plus, nous recherchons des collaborateurs blablabla...

 

J’avais la quarantaine, aucun doute, mais s’épanouissait-elle pleinement dans la société en général ? C’est la question qui m’est venue à l’esprit. Et d’abord, qu’est ce qu’ils entendaient, au juste, par : quarantaine épanouie ? La quarantaine qui s’achemine vers la cinquantaine en sautant d’un pied sur l’autre, tralala, youplaboum, nique nique douille ? La quarantaine bien dans sa peau qui s’éclate à mort à l’aquagym et se la pète en boîte tous les samedis soirs sur le remix au synthé de Viens Poupoule, viens Poupoule, viens ? Et puis pourquoi recherchaient-ils des quadragénaires expérimentés en quête de nouveaux horizons ? C’était complexe. La quarantaine, si elle est vraiment épanouie, ne va chercher nulle part de nouveaux horizons. Elle s’épanouit, peinarde, sur son rivage, à l’abri des sirènes publicitaires. C’était pas si clair que ça, leur truc. Mais je continuai ma lecture : 

 

Vous qui avez des idées et des envies blablablapartagez la vision de Société Vénérable blablabla… une banque ouverte sur le monde. Point. Allez zou, tout le monde descend.

 

A ce stade, il y avait tant de données nouvelles, qu’il m’a fallu analyser la richesse intrinsèque de ce que je venais de lire. Tout d’abord, avais-je des idées ? Non. Pas des masses. Du lundi au vendredi, je n’ai pas beaucoup d’idées. C’est bizarre, mais c’est seulement aux abords du week-end que ça commence à sérieusement s’agiter. Avais-je des envies ? Oui. Indéniablement. J’ai des tas d’envies de toutes sortes du lundi au dimanche. Manger des glaces, improviser la danse des canards dans la cour de l’Elysée, relâcher les animaux du zoo, gagner au Loto, partir à Hawaï, siroter un rhum en regardant le coucher de soleil sur le lagon entre deux cocotiers, une paille entre les doigts de pied, ça me botterait bien, ça oui ! Plus ça va, plus elles sont en expansion, mes envies. Ma frénésie lotesque deux jours avant le tirage de la super cagnotte suffirait à le prouver.

 

Ensuite : qu’est ce qu’elle entendait, la Société Vénérable, par son : « Partagez la vision ? » C’était quoi, au juste, sa vision d’une banque ouverte sur le monde ? Pour en avoir le cœur net, je poussai ma lecture jusqu’au slogan final :

 

La croissance. C’est bon pour nous. C’est bon pour vous.

 

Alors là. Je ne vous raconte pas la chute du haut de l’Olympe. Aspirée par les abysses. Couverte de boutons. Moi qui ai complètement foiré la mienne, de croissance, (me refusant obstinément à dépasser le mètre cinquante-sept comme la Lolita de Nabokov, qui, lui, n’était pas un philosophe napolitain), j’avoue que j’éprouve une inexplicable poussée de haine lorsque ce mot de croissance a l’insolence de se mettre en travers de mon chemin. D’autant plus qu’il s’agissait de la croissance de la Société Vénérable, dont je suis forcément jalouse puisqu’elle ne pose apparemment pas de problèmes majeurs (de même que les bénéfices de Vévé aime Ache).

 

Tout bien réfléchi, non, je n’avais pas du tout envie de les rejoindre, les gars de la Société Vénérable, alors j’ai refermé le journal.

 

 

 

© Désirée Boillot

 

 


 

 

 

Traquenard dans un hamac

 

 

 

Mon Dieu, mais quelle brise délicieuse… Et ce hamac en coco est d’un confortable ! Tout à fait ce qu’il faut pour lire mes manuscrits ! Ma belle-mère est d’un dévouement… Comme elle a eu raison de m’installer sous le mûrier ! L’ombre de ses branches est divine, exquise… Qu’il est bon de se faire dorloter par cette femme exceptionnelle, qui connait si bien mes goûts ! Je ne peux rien lui refuser. Pas ça ! Depuis le début des vacances, elle est aux petits soins pour moi. Non seulement elle me cuisine sans arrêt des plats délicieux, mais elle tempère aussi les assauts de Mathilde ! Telle mère, telle fille : Tu parles ! Il n’y a rien de plus faux ! Si je n’étais pas aussi bien installé, je ne pourrais pas m’astreindre à mon pensum. Un éditeur en vacances ne peut pas endurer la lecture de deux cents pages, s’il ne bénéficie pas des meilleures conditions !  Pour cela, le jardin est idéal. Surtout quand les enfants sont partis à la pêche… S’il fallait que je compte sur Mathilde pour me procurer un peu de bien-être ! Sans arrêt sur mon dos… Elle me persécute. Il a fallu que je démêle les cannes à pêche des mômes, que j’entortille les vers au bout des hameçons, avant de pouvoir enfin goûter un moment de sérénité… Voyons, j’en étais où ? Page trois… Non. Je viens de lire l’intro sur la présentation du canari. Page cinq. Embrayons, en avant toutes… Cet Eusèbe me donne envie de dormir. D’abord, quelle idée de s’appeler Eusèbe ! Je t’en ficherai, moi, des prénoms pareils… Il s’agit d’un pseudo, sans aucun doute. Franchement, je me demande où les gens vont chercher ça ! La Traversée du désert, en plus. Quel titre ! Nul. Prétentieux ! Pourquoi pas : Voyage au bout de la nuit, tant qu’on y est ! Franchement, c’est lamentable. Reprenons. « A force de se balancer comme un dingue, le canari se trouvait maintenant pris sur son perchoir dans un swing vertigineux… » C’est la meilleure de l’année, celle-là. Il est vraiment très con, ce canari. Je sens qu’il va mal finir. Soit dans la gueule du chat, soit écrabouillé au milieu de ses graines. Comment se fait-il que le comité de lecture ait pu me laisser lire un truc pareil ! Les filtres n’ont pas fonctionné cette fois-ci. Continuons. Page sept. « …l’énergie du canari semblait s’être décuplée, peut-être se grisait-il aussi, comme un petit enfant épris de liberté … » Moi aussi, j’ai envie de me griser un bon coup. Un verre de pinard à ras bord, pour faire passer les exploits de ce crétin d’oiseau. Je vous jure… Flûte, le vent se lève. Et bien sûr, l’auteur de cette œuvre géniale n’a pas pris la peine de brocher son manuscrit. Merde ! La page huit s’est envolée ! Ouf. Je la vois qui s’enroule autour des grilles du jardin. Elle n’ira pas bien loin, j’irai la récupérer tout à l’heure. Reprenons cette palpitante épopée. Je saute les pages neuf, dix… « …c’est alors que le chat, sans doute attiré par le raffut épouvantable qui régnait à l’intérieur de la cage, s’avança vers l’oiseau sur ses pattes de velours… » Qu’est ce que je disais ! Le voilà, le gros matou ! «… bondissant sur la table, il se posta dans une attitude de défi devant les barreaux vernis… » C’est mal dit, ça cloche, cette attitude de défi. Qu’est ce qu’il peut défier, le chat ? Rien du tout. Même pas ses moustaches… Il meurt d’envie de se faire l’oiseau, oui ! Et puis qu’est ce qu’on s’en fout, tiens ! Bon. Page onze, douze, blablabla… Allez, zou. Chapitre deux. Allons-y voir comment qu’il se démerde, le cui-cui…. Il continue de faire de la voltige sur son trapèze ! Il est obsédé, ou quoi ? C’est quand qu’il arrête de me donner la nausée ? « … Il exécutait des pirouettes et d’élégants saltos arrière, défiant les lois de l’équilibre, narguant le chat qui miaulait d’énervement… » Nous voilà bien ! On le comprend, le chat. Franchement, y a de quoi devenir nerveux. Vite, chapitre trois. Heureusement que c’est écrit en gros caractères… Ah. Enfin, un nouveau personnage. Je commençais à m’emmerder sévère. « Alertée par le bruit insolite qui filtrait par la porte, Gertrude entra brusquement dans la pièce… » Gertrude ! De mieux en mieux ! Et d’abord, d’où c’est qu’elle sort, celle-là ? Elle peut pas frapper avant d’entrer, comme tout le monde ? Ça aurait fait une ligne de plus, tant qu’à bourrer…  « Constatant que l’oiseau était en mauvaise posture, elle se précipita, mains en avant, pour faire fuir le matou… » Bonne et saine réaction. Du balai, le matou. Dégage. Laisse le pov’ zoziau en paix. Frrrrout. « … mais le chat se mit à feuler et à cracher, et dans une attitude de menace, il se hérissa comme un tigre, gonfla son poil, doubla, tripla, sextupla de volume, devint menaçant… » Où c’est qu’on va, là ? Je sais pas pourquoi, mais je flaire un parfum de science-fiction tout à coup... Flûte, ce vent. La page trente-deux file vers la piscine. Merde. Je ne la vois plus, elle aura coulé. Faudra que j’aille la repêcher avec l’épuisette… Y en a marre. Et puis ça fraichit… Page quarante-quatre… Le chat s’est transformé en tigre, ok, je passe… Page cinquante. Il a bouffé Gertrude aussi. Ben dis donc, il est pas sympa, ce félin. Allez hop, je m’en vais me farcir le chapitre huit en diagonale, vite fait… Y en a combien, au fait, de chapitres ? Quinze. C’est jouable, ils sont tous à la pêche, je suis peinard. Avec un peu de chance, quand ils rentreront, j’aurai fini cette passionnante Traversée du désert. Courage. On se cramponne, on saute les digressions nulles… Chapitre je ne sais plus combien : « Où Gonzague terrasse la bête ». Allons-y alonzo, chaud devant. « …En traversant la rue des Peupliers du pimpant village de Bondoufle, une expression de stupeur se peigna sur le visage du jeune homme ». Ben bravo ! Peigna ! Je m’en vais te peigner le cuir, moi, tu vas voir ça, Eusèbe ! « Malgré la grande distance qui le séparait de la maison, il eut une sorte de prémonition. L’odeur du sang imprégnait ses narines, lui faisant redouter le pire… » Il a un pif épatant, le Gonzague. Il flaire l’odeur du sang à des kilomètres à la ronde, comme moi pour les navets. Poursuivons. « Il poussa la grille du jardin d’une main tremblante, car il croyait ouïr des rugissements épouvantables… » Croyait ouïr des rugissements épouvantables ! Il fallait l’écrire ! Faudrait que ça figure dans des annales. Que d’âneries, mon Dieu, mon Dieu… « …c’est alors que Gonzague discerna une boule de fourrure rousse ramassée sur elle-même, planquée entre les tuiles du toit… ». M’est avis qu’il va lui arriver une méga tuile, au Gonzague. De la très très très grosse tuile. Merci, le vent ! Plus de page quatre-vingt trois. Partie en vol plané par-dessus les thuyas, la page quatre-vingt trois ! Vive le mistral ! Tout le chapitre neuf s’est envolé. C’est joli, sur le gazon, ces feuillets qui dansent… C’est décoratif. Un tapis de feuilles légères maculant de blancheur l’herbe verdoyante… Trêve de lyrisme. Déjà seize heures. Accélérons un peu, j’ai hâte d’en finir. Chapitre douze… « Où Gonzague marcha dans le désert, longtemps… ». Aïe aïe aïe ! J’ai loupé une ellipse, là. Pas question de me la frapper. Mais qu’est ce qu’il fout, dans le désert, Gonzague, après avoir défié le tigre du Bengale sur le toit ? Il aurait pas mieux à faire que de compter les vautours ?... Oh, que c’est mal écrit ! : « … Les dunes moutonnantes lui firent penser à des dômes dorés de soleil, et il courait maintenant pour les attraper… » C’est même pas érotique ! A la place de dômes, j’aurais mis des seins ! Y a pas photo. Les dunes de sable évoquent de gros nibards, ça tombe sous le sens ! Enfin. Chacun ses fantasmes. Plus que quatre pages, et c’est plié….  Plus que deux, les autres sont allées rejoindre le tapis sur l’herbe. Je mettrai les enfants à contribution. Ils me ramasseront tout ça. Je ferai écrire trois lignes de refus par le comité de lecture, et l’affaire sera dans le sac. « Cher Monsieur, nous avons hautement apprécié vos qualités littéraires, mais blablablablabla, votre manuscrit ne correspond pas à notre ligne éditoriale ». Voyons la fin… « Un rayon de soleil perça soudain les persiennes. Quand Gertrude souleva ses paupières encore lourdes de sommeil, elle vit le chat au-dessus d’elle, qui la fixait de ses yeux jaunes». Ben voilà. C’était un rêve ! Et le chat attend que Gertrude lui file à bouffer ! Ha ha ha ha ha ! C’est nullissime, ce machin ! Je m’en vais lui passer un sacré savon, au comité de lecture. Ça va sérieusement barder. Et j’ai faim, maintenant. Mais voilà justement ma belle-mère qui arrive avec mon goûter.

 

-         Alors, cette histoire ? Elle vous a envoûté ? Pris par la main jusqu’au fond du jardin ?

-         En quelque sorte, Mamie....

-         Comme je suis heureuse ! Venez que je vous embrasse !

-        

-         Maintenant je peux vous le dire : Eusèbe, c’est moi !

-         Vous ?

-         Parfaitement ! Vous avez aimé l’action ?

-         A… A…. Ah mais vachement. Terrible. 

-         Que je vous raconte : tout est parti de Coco. Un matin, il se balançait sur son perchoir comme un petit fou et la suite m’est venue d’une traite !

-         Par exemple…

-         J’ai commencé, doucement, par une gentille petite scène domestique, inoffensive, un peu à la façon de Flaubert vous voyez, et puis je me suis piquée au jeu, et j’y suis allée à fond les ballons !

-         En effet. Il y a vraiment une sincère, une éprouvante montée de l’action…

-         N’est ce pas ! J’ai travaillé mes effets, avec le chat qui se transforme en tigre…

-         Très étonnant ce passage !

-         Ensuite, l’imagination a pris le dessus, que voulez-vous. Je n’ai rien pu contrôler…

-         Ça se sent, c’est vrai…

-         Et j’ai brouillé les pistes, tissé des fils jusqu’à la chute !

-         Très bien, la fin. Vraiment ébouriffante. J’ai été tenu en haleine, à tel point que je ne me suis pas rendu compte qu’il y avait du vent.

-         Alors ?

-         Alors, quoi ?

-         Quand est-ce que je signe mon contrat ?

-         Ben…Euh… On pourrait envisager…

-         Septembre ?

-         Vouiii… Juste une chose. Le titre cloche un peu.

-         Mais on change tout de suite ! Tiens : « Voyage au bout de la nuit » s’il n’est pas déjà pris ! Vous êtes un ange, mon petit Jean !  

 

 

 

*

 

© Désirée Boillot

 


 

Fin guidon

 

Freinez, mais freinez, merde ! Qu’est ce que vous fichez ? Et puis regardez dans le rétro quand vous doublez ! J’ai jamais vu ça. Allez, accélérez, maintenant, vous voyez bien qu’il n’y a personne devant vous, roulez ! A ce train-là, on y sera encore demain !

 

Ce qu’il peut m’énerver, ce type. Je déteste les gens qui hurlent, surtout quand je conduis. Freinez, accélérez : il faudrait savoir ! Ils ne savent dire que ça, les examinateurs. C’est vraiment pour qu’Ursule me fiche la paix que je me suis lancée dans cette galère. « A trente-trois ans, il serait temps que tu saches conduire ! » Je vous jure… Sans comptez que ça coûte une fortune, les leçons de conduite. Tu parles d’une partie de plaisir ! Si j’avais su, j’aurais dit non, sans hésiter. Je m’en fiche complètement, moi, d’avoir ce satané permis. Les transports en commun, c’est pas pour les chiens. Mais quelle idée j’ai eu d’accepter de passer cette épreuve, quelle idée ! C’est toujours comme ça : il faut que je m’écrase pour obéir aux quatre volontés de tous ces types qui ne pensent qu’aux bagnoles. Ras-le-bol, moi, des bagnoles ! Et puis c’est bien beau de l’avoir, le permis, encore faut-il ensuite pouvoir continuer à conduire ! Tout est là. Apprendre, c’est bien ; pratiquer, c’est mieux, c’est comme pour tout. Et moi je sais bien que jamais Ursule ne me laissera poser les mains sur le volant de sa nouvelle Twingo. Pas la peine de rêver, il préférerait se faire écarteler plutôt que de me voir toucher à sa bibiche qu’il bichonne à la peau de chamois, le dimanche. Il me refilera les cartes routières pour que je le guide, et basta. Je ne serai bonne qu’à tenter de lire ces cartes routières auxquelles je ne comprends bien, et nous nous retrouverons, comme la dernière fois, à Bordeaux au lieu de Dijon ! Et puis à quoi bon m’appliquer pour ce type qui n’arrête pas de me donner des ordres et des contre ordres !

 

Accélérez, que diable, on se traîne, là, derrière tous ces camions, allez, on enclenche la cinquième, dans la joie et la bonne humeur, vous me dépasserez dans la foulée la caravane qui ralentit la file depuis une demi-heure, c’est d’un pénible, ces caravanes… Et puis faites attention aux motos qui arrivent comme des trombes sur votre droite, restez au milieu de la file, vous avez une fâcheuse tendance à louvoyer !

 

- C’est à cause du vent.

 

- Le vent ! Il a le dos large, le vent. Toutes pareilles. Quand c’est pas le vent, c’est le brouillard, quand c’est pas le brouillard, c’est la pluie, quand c’est pas la pluie, c’est le verglas, quand c’est pas le verglas, c’est les feux. Roulez, bon sang ! Et gardez vos mains à dix heures dix sur le volant, combien de fois faudra-t-il que je vous le répète ? Vous avez vu où elles étaient, vos mains ? Elles étaient à sept heures vingt. C’est pas à sept heures vingt qu’elles doivent être, vos mains, mais à dix heures dix, enfoncez-vous bien ça dans le crâne !

 

Non mais pour qui se prend-t-il, ce type ? Je t’en ficherai, moi, des sept heures vingt et des dix heures dix ! Si j’ai envie de les placer à trois heures moins le quart, mes mains, je me demande bien qui pourrait m’en empêcher !... Remontons-les quand même un peu, il serait capable de me recaler.

 

Faites attention et tenez votre droite : vous continuez à louvoyer !  

 

Quel emmerdeur ! J’y peux rien, moi, si la voiture fait des embardées ! Avec ces vieux tacots pourris qu’ils vous refilent pour l’examen et qui s’envolent au moindre coup de zef, il faut s’attendre au pire !

 

Regardez donc un peu ce qui arrive derrière vous sublime et jaune, en vous faisant de gros appels de phare… Une Lamborghini. Rabattez-vous tout de suite à droite, vite, grouillez-vous, profil bas et les mains à dix heures dix. Laissez passer la Lamborghini. La race qu’elle a ! Matez-moi cette ligne ! Pure ! Une fusée ! Ah les Italiens ! Question bagnole, ils assurent à mort.

 

Profil bas… On croit rêver. Tout ça pour ce machin qui roule un peu plus vite que les autres… Quelle pitié. Si je devais m’acheter une caisse, jamais je ne la choisirais de cette couleur. Beaucoup trop criard, ce jaune. C’est tape-à-l’œil, et ça fait nouveau riche. Sûr que ce sont des nouveaux riches qui conduisent un machin pareil. Ils ont dû gagner à la loterie. Dès qu’on rentre, je vais me faire une petite grille de derrière les fagots avec les numéros de la plaque de la Lamborghini, ça va pas traîner, et si je gagne, je m’exile sur une île sans voiture. Y a que les parvenus ou le Président de la République pour s’acheter des trucs clinquants comme ça.

 

Rabattez-vous sur la file de droite. Nous allons prendre la prochaine sortie, ensuite nous ferons des créneaux.

 

Allons bon. Je suis nulle en créneaux. J’ai beau m’appliquer, je me gare toujours de traviole. Les roues dépassent à chaque fois. Voilà la sortie. Allez du nerf ; le clignotant, un coup d’œil dans le rétroviseur, un petit virage tout en souplesse, voilà, un autre à la corde, tout baigne.

 

Bien.  Continuez tout droit, à hauteur du premier feu, tournez à droite, puis à gauche, et encore à droite le long des entrepôts, ensuite je vous préviens : la route grimpe. Vous vous arrêterez quand je vous le dirai.

 

Qu’est ce qu’on peut s’emmerder sur ces routes sinistres ! Tiens, une décharge. C’est d’un gai, tous ces vieux cadavres de tôle entassés les uns sur les autres… Les hommes sont devenus dingues. Il faudrait signer un protocole mondial anti-bagnole, comme ça plus de permis, plus d’accident, plus d’embouteillages, plus d’amendes, plus de pollution, plus rien. Ouh la la, mais c’est quoi, cette côte ? J’ai jamais vu un truc aussi abrupt… La seconde, sinon je n’y arriverai pas… Allez, encore un petit effort, le moteur rugit, mais j’aperçois le sommet…

 

Nous y sommes. Maintenant, imaginez des voitures le long d’un trottoir, et faites-moi une belle manœuvre à droite.

 

Obéissons. Il me le faut, ce papier rose.

 

Parfait ! Très beau créneau. Dix points d’office. Il ne vous reste plus qu’à me donner le nom du panneau que vous voyez, et qui se trouve toujours en haut des côtes.

 

- Un panneau ? Mais où ça ? Il n’y a pas de panneau ici, seulement des éoliennes au loin, c’est tout.

- Vous l’avez, votre code ?

- Oui… Depuis la semaine dernière.

- Bien !  Alors quel est le nom du panneau que l’on voit au sommet des côtes ?

 

Ça y’est, mes mains collent, je transpire à mort à cause de ce type qui voit des panneaux partout. Il n’y a aucun panneau au sommet des côtes, quand on foire son code douze fois de suite, on finit par le connaître, le fascicule du permis facile.

 

Alors ?

 

- Alors rien. Je sèche.

- Le panneau… Le panneau…

- Non. Désolée. Je ne vois pas.

- Le panorama !

 

Là, j’ai vraiment intérêt à jouer fin guidon. Le panorama… Ha ha. Ha ha ha ha ha. Ha ha, keuf, keuf, keuf.  Je m’étrangle tellement je ris !

 

- Elle est bonne, non ?

- Ah très ! Insurpassable. 

 

- Content de vous l’entendre dire… Allez, machine arrière, on rentre au bercail, je vous le donne, votre permis !

 

*

 

© Désirée Boillot – Juin 2007

 

 

 


Désirée nous offre ici une fort amusante scène de vie familiale avec une belle chute.

Papino

 

 

Hou hou… Vous m'entendez ? Seigneur, si vous êtes là, écoutez-moi. Je vous le demande. C'est pour un service. Matthieu est sur le devant de la scène… Il est en train de passer son bac ! Faites qu'il l'ait. Faites l’impossible. Il a bossé des mois, il le mérite. Et puis faites que la paix revienne à la maison…

 

Parce que les Grandes Révisions, c'est pas de la tarte, croyez-moi. Plus jamais ça ! L'ambiance était tendue comme du fil barbelé. Ton fils par-ci, ton fils par-là… Ton fils est un cancre ! Pas du tout sur la même longueur d'onde, les parents. Papa est prof de philo. Il veut la mention, sinon il devient bouddhiste. Maman, elle s'en fiche complètement, de la mention. Si Matthieu a son bac, elle débouchera le champagne. Elle l’a promis. Même au rattrapage. 

 

Seigneur. Ecoutez-moi. Deux mois que mon frère dort pas. Deux mois qu'il vide du Coca jusqu'à deux heures du matin ! Pour tenir ! J'entends encore sa voix monter derrière la porte… L'autre jour, c'était la politique agricole de la Chine. On nageait dans les rizières. Du riz, du riz, et encore du riz. Notez, il en faut, pour nourrir tout ce monde. Un milliard de Chinois, et autant de bouches… Soyez cool. Il faut qu'il tombe sur la Chine. Faites ça. Un bon mouvement. Pékin et les Pékinois. Au pif. Ou alors les exportations du Japon. Il les sait sur le bout du doigt. Et puis pas trop de géométrie s'il vous plaît. Des problèmes simples, pas de théorie de la relativité. Pas de logarithmes, pas de polygones compliqués. Ni de para… paraléllé… parallélébipèdes. Quatre côtés égaux, c'est amplement suffisant. 

 

Question latin, allez-y mollo. Je vous le demande. Pendant les Grandes Révisions, Papa s'est fâché.  Matthieu avait traduit : "Escalope est une belle rose." Au lieu de : "La rose d’Esculape est belle." Et rebelote, avec Matribus. Cette fois-ci, il a vraiment cru que c'était un prénom féminin ! Ça donnait : "Matribus dit à ses fils qu'ils sont courageux." Maman a gloussé. Elle a dit qu'il avait beaucoup d’imagination. Papa riait pas, lui. Pas du tout. Il grinçait des dents. Il est devenu mauve. Il a obligé Matthieu à recopier : "Les fils disent à leurs mères qu’ils sont courageux." Cent fois. Pas de quoi se mettre dans un état pareil.

 

Je sais. Pendant les Grandes Révisions, Matthieu a beaucoup juré. Faut l' pardonner. L'anglais, c'est pas son fort, surtout à l'oral. Vous connaissez l'anglais, vous ? Pas facile à prononcer, les ZE, les ZAT, les ZISS… ZISS IZ A CAT. A propos de chat, vous nous avez pas gâtés, avec Pathos. C'est du malus cattus. Un vrai monstre pendant les Grandes Révisions. Féroce, jaloux. Sournois. Et papivore. Il venait dans la chambre. Miaulait, sautait sous la lampe. Faisait ventouse sur les copies doubles. Matthieu le repoussait. Vlan ! Il se déchaînait. Un tigre. Lancé, toutes griffes dehors, sur les beaux résumés. J'vous l’ dis : Matthieu, il a un sacré mérite. C’est pas sa faute s’il a piqué une colère l'autre jour. Il restait rien du cours sur Papino. Pathos en avait fait des confettis. Heureusement que Papa le sait pas. Maman, elle s'en fiche bien, de Papino. Elle en a jamais entendu parler. Y a que moi et Matthieu qui savons comment Papino a été liquidé.

 

Et puis vous. Alors maintenant, un beau geste. Faites qu’il tombe pas sur Papino.

 

Personnellement, Papino, j'ai rien contre. Je trouve ça plutôt joli, comme prénom. Sympathique. Et très répandu, faut croire. Le Papino de la leçon, il était 106ème ! Ce qui veut dire que 105 types se sont appelé Papino avant lui. Rien que ça. Un type qui s'appelle Papino peut pas être un salaud. Va chercher le poulet, mon petit Papino. Le gars, il y va tout de suite, à la boucherie. En trois cloche-pied et deux saute caniveau. Tiens, voilà Papino. Ce cher Papino… Il est populaire. Forcément, avec un prénom pareil. Le boucher, il lui refile une saucisse.  

 

Matthieu vient de rentrer. La porte a claqué. Oh la la. Mon Dieu, mon Dieu. Il tire une de ces têtes ! Voilà que Papa rapplique… Seigneur ! ! ! Faites qu’il ait pas eu Papino ! ! !

 

*

 

Il fait nuit. Je n’arrive pas à dormir. Tout ça, c'est de votre faute. Toute la journée, Papa a pas arrêté de geindre. Mais qu’est ce que j’ai fait au Bon Dieu, qu’est ce que je lui ai fait… C’est vrai, ça ! Qu’est ce qu’on vous a fait ? Répondez ! Hou hou ! Des jours que je prie pour Matthieu ! Que je vous guide pour son bac ! Alors pourquoi vous m’avez pas écouté ? Vous l' faites exprès ou quoi ?

 

Il a pas eu la Chine. Ni le Japon. Il a tiré le sujet sur Papino. Cent sixième du nom. Il a pas paniqué. Il a farfouillé dans ses souvenirs et il y est allé vaillamment. A la guerre, comme à la guerre. Il était à peine rentré que Papa lui arrachait sauvagement son brouillon… En ces temps reculés où régnait l'obscurantisme, ça plaisantait pas avec la religion. Pendant dix ans, le Languedoc a senti le roussi à cause des bûchers que le chef de l'église allumait le week-end contre ceux qu'étaient pas croyants. Car Papino 106 était intransigeant…

 

Papa a viré tomate.  Il a rayé le nom de Papino. Plusieurs fois. Puis il a écrit en rouge au beau milieu de la feuille :

 

Pape-Innocent-VI !

*

© Désirée BOILLOT

 


 

Coup de balai

 

 

« Mais non Mademoiselle. Pas Braquemart. Traquemart. Antoine Traquemart. De la part de Thérèse Lacolle, du réseau du même nom. Il me connaît très bien. Oui. Urgentissime. Je patiente ».

 

… Et comment que je vais patienter ! Quand Traquemart saura ça, il va en tomber de sa chaise ! Non, franchement, que feraient les organisateurs des concours de nouvelles, sans quelqu’un comme moi pour tirer la sonnette d’alarme ? Grâce à Dieu, je suis là ! Les textes éparpillés un peu partout dans l’hexagone sous des titres différents, les présélections qui comptent pour du beurre, les envois remarqués que l’on recycle tous azimuts, c’est terminé ! Adieu la resquille ! De l’inédit, sinon rien ! Et que l’on ne s’avise pas de prendre la défense de Trucmuche, dont la nouvelle a subi une ablation de paragraphe à l’impression ! Même amputé de ses verbes, tout écrit figurant dans un recueil local doit impérativement sortir du circuit ! Pure question d’éthique. Heureusement que je peux compter sur ce logiciel ultraperformant pour mener ma croisade ! Que ferais-je, sans mon « Truffier »?… Le brave petit a déjà répertorié plus de cinq mille noms d’auteurs, et deux fois plus de titres ! Il passe tout au crible ! Si mes troupes d’espions sont à pied d’œuvre trois cent soixante cinq jours par an, c’est grâce aux progrès de la technologie. La liste noire des fraudeurs ne cesse de s’allonger. Toutes les associations de France et de Navarre prônant le récit court en recevront un exemplaire d’ici l’été, avec copie au Proc…

 

-        Allô Thérèse ? Quel bon vent vous amène ?

-        Celui du Grand Nord, cher ami. Dans le genre cachottier, vous vous posez là, dites donc !

-        Quoi, moi ?

-        Parfaitement, vous. Ne faites pas l’innocent. J’apprends à l’instant par un mail d’Oscar Taupiaud que les résultats du concours « Histoires de soutanes » viennent de tomber !

-        C’est exact. Ils seront affichés sur le site d’ici une dizaine de jours. Je dois prévenir le laur…

-        Vous n’en ferez rien. Il y a encore eu un cas de fraude. Gravissime. Votre Gaston Bouillote est un dangereux récidiviste. Son texte, « Les curés crachent pas sur le cash », a déjà remporté le jackpot !

-        Laissez-moi vous dire une chose Thérèse : vous commencez à nous pomper l’air, avec vos filatures !

-        Tout doux mon ami. Méfiez-vous. Je pourrais fort bien vous dénoncer auprès de Mocourant, le Président du Comité d’éthique de mon réseau…

-        Des menaces, maintenant !

-        A ce jour, Bouillote a raflé trois prix en numéraire pour cette nouvelle, vous entendez ? TROIS !!!

-        Et alors ? Il n’y a pas mort d’homme. 

-        Boullay-les-Troux, 1972 ! Chambourd-les-Platanes, 1981 ! Lemar-sur-Pilami, 1990 ! Tous les neuf ans, ce maniaque balance la purée ! En 72, la première mouture des curés s’intitulait : « Pas de presbyte au presbytère » ! En 81, « Les curés arnaquent la chorale » !   Ce Bouillotte est un fléau de la pire espèce, à éliminer d’office ! Allez ! Du balai ! Deuxième nom ?

-        Madame Grignon, Bernadette…

-        Titre de l’œuvre ?

-        « Illumination à l’église ».

-        Ouh la la. Méfiance. Par le passé, cette Grignon a déjà pondu une histoire de révélation. Lisez-moi l’incipit, et plus vite que ça. Truffier est en route.

-        Truffier ? Kézaco ?

-        Mon logiciel anti-fraude, pardi !

-        C’est Sarko qui vous a formée, ma parole… Voyons la première phrase… «Un dimanche d’été, alors que les voix de la chorale montaient dans la nef, sans doute touchée par une lumière divine, je réalisai soudain que « Oh, Gethsémani » ne signifiait pas « Oh, jette ses manies », comme je l’avais toujours pensé…

-        Stop. Vous m’éliminez cette prose, et plus vite que ça. Je la connais par cœur. Elle a été lue en public à Saumur-Les-Bidons en 74. Troisième nom ?

-        Fernand Cépalire. Avec un « C ».

-        Titre de l’œuvre ?

-        «Un crapaud dans le bénitier».

-        Allons bon. Une petite enquête s’impose, histoire de localiser ce concurrent dans la nébuleuse des pseudonymes. Je vous rappelle dans la foulée.

 

… Ce prête-nom pourrait bien cacher mon ennemie jurée, Mathilde de Morteaux. Consultons Truffier… Cépalire avec un « C ». La recherche est lancée… Croisons-la avec le titre, « Un crapaud dans le bénitier»… Elargissons l’enquête sur les vingt dernières années… Tiens ! C’est bien ce que je pensais ! Mathilde de Morteaux, née Socys, en troisième position à Saint-Martin-Les-Petits-Cailloux, janvier 77 ! Pincée ! Bravo, Truffier.  Rappelons notre ami…

 

-        Allô, Braq… Traquemart ? Vous m’éliminez illico ce Fernand Cépalire. Il s’agit de Mathilde de Morteaux, primée en 77 dans l’Isère. Quatrième nom ?

-        Vous êtes d’un pénible ! Frank Oliver Gibbon.

-        Titre ?

-        « L’enfant de choeur ».

-        Ensuite ?

-        Pierre Citron pour « La tête dans le calice », Esther Olléac avec deux « l », pour « Mon ami le bedeau »…

-        Stop. Vous connaissez les nouvelles règles ? Au-delà de six fraudeurs, on annule. Purement et simplement.

-        Vous êtes un monstre, Thérèse.

-        Si vous continuez à m’insulter, je vous expédie dans la liste noire des concours, ça va pas traîner ! Mettez-moi en attente, je n’en ai pas pour longtemps…

 

… A l’attaque. Ah, le doux ronron de Truffier… Et comment qu’il va m’éliminer tous ces parasites… Gibbon, Frank Oliver… Rien… Voyons voir sous « Enfant de chœur »… Qu’est ce que je disais ! Le texte figure dans la 12ème édition du recueil des Editions Payard, en basse Vendée. Zou ! Un de moins. Passons à Pierre Citron… Le titre de sa nouvelle ne m’est pas inconnu… Et pour cause ! « La tête dans le calice », paru dans la gazette de la Ligue des Auteurs pour la sauvegarde du point virgule, en août 94 ! Parfait. Quant à Esther Olléac, j’en fais mon affaire…. On va voir ce qu’on va voir !

 

-        Allô, Braq… Traquemart ? Vous me rayez les noms de Gibbon et Citron. Même motif, même punition. Déjà primés. En revanche, rien sur Esther Olléac. Pas le moindre indice. On peut dire qu’elle vous sauve la mise, celle-là !

-        A ceci près que son histoire est une jolie guirlande de poncifs… L’héroïne passe son temps à courser le bedeau derrière les piliers de l’église… Pour reprendre l’expression de Flaubert, c’est plat comme un trottoir de rue !

-        Je vous fais grâce de vos commentaires, mon p’tit vieux. Vos goûts et vos couleurs, vous pouvez les remballer. Seul, le comité de lecture est roi. Aboulez la date de la remise des prix, pour mes statistiques. 

-        Le dimanche de l’ascension…

-        Eh bien voilà.

-        Une dernière chose : le concours ne sera pas reconduit en 2007. Que le Diable vous emporte, vous, vos sbires et votre Truffier !

 

… L’’affaire est dans le sac. Rien de tel qu’une bonne anagramme pour passer inaperçue… Le jour J, j’enverrai Taupiaud chercher ma médaille.

 

*

© Désirée BOILLOT


 

 

Au rendez-vous de la gloire

 

 

Jours, heures, semaines, tout défile à très grande vitesse ; toutes les feuilles de l’éphéméride s’envolent derrière les collines. Rien n’est plus beau que ces coulées ardentes au flanc des coteaux, cette arrière-saison en majesté, et non, décidément, les sanglots longs des violons de l’automne ne sont pas pour lui aujourd’hui ! Adieu passé, adieu anonymat, adieu, misérable, haïssable routine ! Le train l’emporte vers cette gloire qui lui fait de l’œil depuis qu’il écrit et qui tant de fois s’est dérobée à lui, cette gloire que tous les concurrents appellent de leurs vœux et qui l’attend, là-bas, toute neuve et palpitante, étincelante dans son habit de lumière.

Cela fait si longtemps qu’il en rêve ! Par la vitre, c’est un feu d’artifices de couleurs, un embrasement rien que pour lui, Ferdinand Pinsard, premier prix de « Plumes d’Or », un concours d’écriture auquel il a participé au dernier moment, grâce à son ami Paul. Il lui doit une fière chandelle. Il entend encore sa voix, au téléphone, sa voix vibrante l’incitant à saisir son stylo : Il y a un éditeur parmi le jury, rends-toi compte mon vieux, c’est l’occasion ou jamais, vas-y, fonce !

Et il a foncé. Il n’a pas tergiversé, il s’est enfermé dans son bureau, et s’est jeté sur le papier comme si c’était la seule échappatoire. L’histoire d’une errance qui finit mal s’est imposée comme une évidence sous sa plume ; il faut croire qu’il portait cette nouvelle en lui depuis très longtemps. Il l’a même donnée à lire à Paul, lequel n’a pas tari d’éloges, et lui a garanti qu’avec un texte de cette qualité, il remporterait forcément un prix. Comme il avait raison !

 

Le train entre en gare. Ferdinand est fin prêt pour son premier grand rendez-vous avec la littérature.

 

En descendant sur le quai, il observe la foule grouillante autour de lui, tous ces inconnus à qui son nom ne dit rien pour l’instant, et il les imagine se bousculant autour d’une table couverte de ses livres, avec son nom étalé en grosses lettres sur le bandeau, et son visage en noir et blanc, sur la quatrième de couverture. Il sort de sa poche de veste la lettre d’invitation à la remise des prix, lui confirmant qu’il sera interviewé par l’éditeur en personne, et dans la foulée il relit le palmarès, où figure son nom, tout en haut de la feuille, son nom de vainqueur en caractères gras, Ferdinand Pinsard, Premier prix, devant le Prix Régional, la fameuse Mathilde Mouton, qui squatte sans cesse la première place. Or aujourd’hui, bernique ! Dans moins d’une heure, c’est lui qui sera au sommet du podium avec une couronne de lauriers sur la tête, lui seul, et non l’agaçante Miss Mouton qui ira brouter un cran plus bas, sous le rayonnement de son aura.

Il quitte la gare, le cœur en fête. Il connaît par cœur l’itinéraire qu’il doit suivre, les noms des rues lui sourient, les majestueux marronniers semblent avoir été plantés uniquement pour sa venue dans la ville, tout est là pour glorifier sa trajectoire de numéro un ; il attaque le bitume d’un coup de talon euphorique, déjà il discerne le bâtiment de la mairie, un très beau bâtiment du dix-neuvième siècle, celui de Victor Hugo, Balzac, Flaubert, Maupassant, et tant d’autres. En pénétrant dans le hall, c’est comme si tous les grands écrivains le désignaient pour parler en leur nom, comme si chaque marche le portait toujours plus haut, comme si la salle d’honneur n’attendait plus que sa venue.  

A l’étage, une jeune femme somnolente est assise à une petite table. Ferdinand s’approche, articule son nom le plus clairement possible, mais comme celle-ci ne semble pas avoir entendu, il le répète, fort, à haute et intelligible voix, en prenant soin de préciser : Premier prix de la catégorie Nouvelles, afin que l’endormie sache à qui elle a affaire. Elle lève les yeux, une moue dubitative sur les lèvres :

« Vous avez dit : Binsard ? »

-                           Non, Mademoiselle, Pinsard, avec un P comme Proust, assène-t-il avec une pointe de suffisance.

La fille repique docilement du nez, et le crayon descend, lentement, laborieusement, pointant chaque nom, exacerbant l’attente. Enfin elle se redresse, un rictus de satisfaction sur les lèvres :

« Ils se sont gourés. Ils vous ont mis dans les Q. Je vais prévenir le Président. En attendant, vous n’avez qu’à parapher là… »

Ferdinand dégaine son stylo plume, et signe le plus lisiblement du monde, comme s’il voulait imposer l’orthographe de son nom à cette idiote, puis, sans plus s’attarder, il pénètre dans la salle.

Les murs sont tendus de panneaux de toile de jute gris clair, parsemés d’angelots gras et roses soufflant dans des trompettes, les tapis ont été roulés pour mettre en valeur le parquet à chevrons qui resplendit sous les lustres de perles. Au fond de la pièce, se dresse une estrade, avec un pupitre et une table de quatre mètres de long recouverte d’un drap immaculé. Ferdinand s’approche, soucieux de lire sur les cavaliers les noms de ceux qui lui ont décerné sa place de vainqueur : au total, pas moins de neuf personnes gravitant dans la galaxie des Lettres, au cœur de laquelle le nom de Luc Bruyon, l’éditeur, étincelle. 

Il s’assoit à l’extrémité du troisième rang, pour mieux guetter l’arrivée de l’abondante chevelure rousse et frisée de Mathilde Mouton, dont il a trouvé une photo sur Internet. Le jury arrive au compte-goutte, parmi lequel il repère l’éditeur, élégant dans une veste de tweed à double boutonnage et pochette de soie rouge, qui prend place devant son cavalier. Il respire l’aisance, la joie de vivre, sa maison d’édition a certainement pignon sur rue, c’est écrit sur son front hâlé. Paul lui a filé un tuyau en or massif, il ne l’en remerciera jamais assez.

Le brouhaha s’amplifie : toutes les têtes se tournent vers un petit homme rondouillard, vêtu d’un costume bleu outremer. Il s’avance, pose ses papiers sur le pupitre, s’affaire, règle le microphone qui émet un sifflement assourdissant, donnant le coup d’envoi à la cérémonie.

« Chers amis, nous voici réunis pour la quatrième édition de notre concours Plumes d’Or, qui a rassemblé pas moins de trois cent vingt-deux nouvellistes en provenance de la Francophonie, dont un qui nous vient de la très lointaine Polynésie française… 

Mélodieuse, rassurante, égrenant des mots qui coulent comme une source chaude, la voix se félicite du taux de participation en progression constante, de l’excellente réputation du concours, de l’aura dont il jouit, et Ferdinand pense au Tahitien qui a posté son texte de l’autre côté de la Terre, aux trois cent vingt et un concurrents qu’il a coiffés au poteau.

... nous avons le grand plaisir d’accueillir le premier prix qui a fait expressément le déplacement pour nous rencontrer, et je laisse maintenant la parole à Luc Bruyon qui va l’interroger… »

Ferdinand se lève au milieu des applaudissements. Tout en gravissant lentement les marches de l’estrade, il devine qu’il s’agit d’un moment décisif de sa vie. Il voudrait retenir l’instant, le savourer, en goûter tout le suc, mais Bruyon ne lui en laisse pas le temps : il écrase rapidement ses phalanges dans sa dextre, puis il s’empare du micro.

« Mesdames et Messieurs, comme vient de vous le dire Roger Duglard, le Président de notre concours littéraire, nous avons cette année un vainqueur de qualité,  Fernand Poussard…

-          Pinsard. Ferdinand Pinsard, précise l’auteur dans un souffle ému. 

Pinsard, oui, qui nous a écrit une nouvelle tellement éprouvante qu’elle a fait l’unanimité dès le premier tour de table. Elle nous a littéralement scotchés, c’est le mot. Le jury a besoin d’auteurs comme vous, Fabrice, avec cette inspiration, et ce talent narratif, unique, qui a mis tout le monde d’accord tout de suite, façon crac, adjugé, vendu, si vous voyez ce que je veux dire. A ce propos, si vous m’écriviez quelque chose d’un peu plus long dans ce style, genre soixante pages, je vous publierais les yeux fermés, pensez-y ! En attendant, voici vingt exemplaires du recueil, avec toutes nos plus vives félicitations !»

Ferdinand transpire. Il sue. Il reste sourd aux applaudissements, sourd au fait que l’éditeur a écorché son nom et son prénom, sourd à tout : il n’entend plus que son cœur qui pompe comme un fou. Il balbutie trois mots de remerciement en recevant des mains de Bruyon un gros sac en kraft contenant les recueils, une enveloppe avec son prix en numéraire, un rectangle de papier rose signé Roger Duglard, où s’étale en grosses lettres épaisses la mention : Premier prix du Concours Plumes d’Or entourée d’arabesques dorées. Déjà, l’éditeur a repris le micro, lui indiquant d’un geste qu’il peut aller se rasseoir, appelant le prix régional à venir le rejoindre.

Mathilde Mouton n’est pas venue. Les primés défilent l’un après l’autre sur l’estrade. Ferdinand les regarde sans les voir. Il plane à cent coudées, il est loin, il est en train d’écrire le récit dont l’éditeur lui a passé commande en direct. Son personnage s’avance, tout auréolé de lumière, il va d’errances en errances, exactement comme dans sa nouvelle, seulement ses errances sont encore plus intenses, encore plus ressenties, sa prose s’envole, elle est forte, la couverture est barrée d’un large bandeau grenat où figure l’inscription : Ferdinand Pinsard, ou le talent narratif.

*

Sur le chemin de la gare, Ferdinand repense à la pigiste qui couvrait l’événement, une grande blonde ignare mais charmante d’une vingtaine d’années, avec des fossettes et un air mutin, qui était persuadée que Madame Bovary était un vaudeville, et situait Sartre au 17ème siècle. Elle lui a promis qu’elle lui enverrait son article par mail et par courrier, et qu’elle veillerait personnellement à ce que son nom figure dans la chronique littéraire du journal local.

 

Le train est annoncé voie B. Des voyageurs de tous âges attendent par petits groupes sur le quai. Il a pris un billet en seconde mais un jour, quand il sera célèbre, il aura les moyens de s’offrir une première classe.

 

Le wagon est bondé. Un adolescent vêtu de jeans déchirés et d’un sweat-shirt à capuche se laisse tomber sur le siège à sa gauche. Il visse une paire d’écouteurs dans ses oreilles, et se met immédiatement à produire des bulles avec son Malabar tout en battant la mesure sur la tablette. La poisse. La guigne ! Il aurait tant voulu savourer sa victoire comme on déguste à petites gorgées un cocktail exotique délicieusement sucré ! Avec ce gêneur, c’est fichu. Heureusement, le train n’a pas de retard ; il vient de s’ébranler sur les rails dans un long grincement de fer. Les barres d’immeubles et les palissades de graffitis défilent par la vitre, puis la campagne reprend ses droits, avec ses vallonnements, ses coulées d’arbres roux, ses collines en pente douce que viennent lécher les derniers rayons du soleil.

Le moment tant attendu est arrivé. Le cœur battant, Ferdinand tire de sa sacoche le paquet contenant les recueils. Il le tourne, le retourne entre ses paumes. Le soupèse. Le hume. Le papier kraft exhale une délicieuse odeur de papier kraft. Il s’apprête à lire, à côté d’un mâcheur de chewing-gum qui ne sait pas ce que signifie l’acte d’écrire, qui ne sait rien de la littérature et des rendez-vous grandioses qu’elle est capable de donner. Il décolle la languette avec soin, extrait du sac en kraft un premier exemplaire, dont il essaie de comprendre le dessin de couverture : un motif pisciforme, contenu dans un triangle grisâtre esquissé à grands jets de pinceaux, lui-même compris dans plusieurs cercles d’un jaune pisseux, avec, au premier plan, deux formes rondes et rouges, mi-fruits mi-légumes, plaquées sur une sorte de barque, le tout signé Roger Duglard. Du figuratif, sans doute. Il ouvre le recueil, passe vite sur l’avant propos, les mentions particulières, les salamalecs à la municipalité, pour aller droit au but, son texte, intitulé : Désert. Un titre sobre, pur, vierge de fioritures.

Il lit. S’absorbe, tandis que le train s’engouffre dans un tunnel.

Brusquement, quelque chose crève sa rétine. Il cligne des yeux pour chasser l’illusion, qui malheureusement persiste. Il rapproche le recueil de son visage. C’est la première fois qu’il voit le mot « moisson » orthographié avec un c cédille. Dix lignes plus bas, l’adverbe « konkrètement » lui décoche deux flèches au curare, droit dans les pupilles. Il sait qu’il fait des fautes, tout le monde en fait, mais celles-ci non, elles ne sont pas de lui, il en est sûr. A la page suivante, nouvel éclair d’horreur : Syncrétisme, orthographié: synchréthinisme. La faute est si grasse qu’elle le fait se tourner vers la vitre. Les petites lumières glauques de villages perdus clignotent par intermittence dans le lointain. Les reliefs, les couleurs, les collines et les vallées, les grands arbres flamboyants ; tout s’estompe, tandis que de puissants effluves d’agrumes et de saucisson à l’ail envahissent le compartiment. Son voisin rabat sa capuche sur sa tête, éructe et se lève en collant son chewing-gum sous la tablette.

Ferdinand serre les dents. Il a beau être écœuré, il reprend sa lecture. Page sept, son cœur zappe un battement. C’est impossible. Il bée. S’il le pouvait, il hurlerait. La phrase clé de son histoire, sur laquelle repose l’édifice, a été amputée. La première proposition, qu’il a modelée comme on travaille un bloc d’argile, est passée à la trappe. Un peu plus loin, c’est un paragraphe entier qui a sauté, comme s’il avait fallu compresser coûte que coûte sa prose sublime sur quatre pages.

La nuit dévore l’espace, offrant à son regard un vertige de noir derrière la vitre. Il ne peut pas y croire. C’est un mauvais rêve, une sale blague. Il a dû tomber sur une première épreuve, que quelqu’un aura glissée par erreur dans l’enveloppe… Dans un geste de rage, Ferdinand arrache du sac en kraft les dix-neuf exemplaires et les ouvre à la file, cassant leur tranche d’un coup de poignet, faisant sauter la mince couche de colle, luttant contre le désespoir.

Tous sont rigoureusement identiques.

Même son nom de gagnant n’a pas échappé au carnage.

 

Pinsard est devenu Pinard.

 

*

© Désirée BOILLOT


 

 

Ce lundi-là

 

 

A la banque Donald and Donald, baptisée « DoDo » dans le milieu des banquiers, c’était comme partout au fond : on trouvait de tout, à tous les étages. Des cireurs de pompe, des pousseurs de stylo, des tireurs de couverture à soi, des empêcheurs de tourner en rond, des inspecteurs des travaux finis, des lanceurs de peaux de banane, des cadres supérieurs, des grands cadres, des petits cadres, des assimilés cadres, des non cadres et même des individus comme Aurore, qui sortaient complètement du cadre et le prouvaient en ratant la sonnerie du réveil dès le lundi matin.

 

Ça n’était pas bien malin, d’autant que Richard Lapaire, un cadre extrêmement supérieur aux autres, avait été embauché chez Dodo à cent mille francs le mois sans compter les faux frais pour faire le ménage à tous les étages et donner un bon coup de fouet à la confiance des investisseurs, mise à mal par le dernier crack. Alors les retardataires, il n’aimait pas trop ça, Lapaire, lui qu’avait fait poser des fers à ses talons exprès pour annoncer son arrivée dans les escaliers.

 

C’est pourquoi ce lundi-là, à huit heures trente-trois, Aurore s’habilla en courant, se peigna en courant, rejoignit le métro en courant, s’en échappa en courant, remonta le boulevard en courant, s’arrêta pour lire en vitesse la petite annonce dans la vitrine du Palais du Chocolat, repartit en courant, s’engouffra dans le bâtiment et se jeta dans l’ascenseur en faisant un bruit monstre avec son cœur qui pompait presque autant que les Shadocks autrefois. Puis il fallut sortir de l’ascenseur le plus discrètement possible, raser les murs au plus près du papier, se glisser à sa place sans faire grincer la chaise, et ça, c’était une autre histoire.

 

Y’en a qui prennent leurs zaises ! beugla Lapaire en se retournant, et toutes les têtes convergèrent vers Aurore qui persistait à ignorer que le temps, c’était de l’argent, surtout chez les banquiers. Ne pas pouvoir se réveiller quand on s’appelait Aurore, c’était tout de même un peu fort de café, murmurait-on dans les allées. D’autant que c’était à elle de mettre à jour les performances des trois cent trente trois fonds d’investissement de Donald and Donald, à elle d’informer les clients que le fonds Sérénité, entre le lundi 7 et le lundi 14, avait progressé de 0,07%, une progression rogermourienne témoignant de la profonde stabilité de ce placement dont raffolaient les pères de famille. C’était elle, la petite main, la non cadre, l’employée toujours en retard, qui avait été désignée pour noircir la grille Excel de pourcentages frais, un vrai boulot exaltant placé sous l’entière surveillance de Lapaire.

 

En piste ! hurla-t-il, une expression qui donnait immédiatement à Aurore l’envie de rugir. C’était comme ça. Elle n’y pouvait rien. Mais ce jour-là elle se retint. Rugir en ce lundi eût été déplacé. Il fallait obéir au cadre haut placé. Elle s’assit, s’empara d’une main de la feuille des performances, appuya de l’autre sur la touche « On » de l’ordinateur, qui émit un Glong de départ, puis un Scrouik de chauffe, enfin quatre notes de bienvenue, et en avant les p’tits amis, dans la joie et la bonne humeur, car qui rit le lundi, c’est toujours ça de pris.

 

Aurore plongea dans les chiffres, avec Lapaire dans son dos qui faisait tinter les pièces au fond de ses poches. C’était là son jeu favori. Diling, diling, diling. Ça se passait comme ça, chez Donald and Donald : les cadres surveillaient les non cadres en faisant sonner leurs falzars. Et tandis qu’Aurore tapait des nombres qui commençaient tous par Zéro, elle déprimait.

 

Déprimait, déprimait, déprimait.

 

Elle déprima tellement qu’à la ligne cent vingt-huit, elle s’arrêta.

 

Net.

 

Pour qui sont ces zéros qui filent mal à la tête ? se demanda-t-elle, perplexe. Comme elle eût aimé pouvoir mettre des Un à la place ! Cela eût assurément contribué à relancer la confiance des investisseurs. Allez, Un, se dit Aurore en voyant Lapaire qui s’acheminait à pas ambitieux vers le distributeur. Elle enfonça d’un doigt hésitant la touche 1. Rien ne se passa. Le monde resta ferme sur ses bases. Soulagée, elle se mit à fixer l’écran où elle aperçut une libellule verte, aussitôt rejointe par une libellule bleue. C’était beau. Sublime. Les deux libellules agitaient leurs ailes arachnéennes. A la ligne suivante, elle tapa un 2 enthousiaste. L’écran lui souriait, et elle souriait à l’écran, priant pour qu’une troisième libellule fît son apparition. Sans doute adoptait-elle la bonne attitude face au travail, car Lapaire, après avoir bu son café, ne jugea pas utile de venir voir où elle en était en remuant le flouze dans son futal. Il regagna sa table et empoigna son téléphone, nous laissant la possibilité d’ouvrir une parenthèse : (Lapaire adorait faire joujou avec ses téléphones qu’il ne délaissait que pour assister à des réunions durant lesquelles il gribouillait des mots qui, mis ensemble, composaient de splendides notes de service commençant toutes par : « à l’intention personnelle du petit personnel », pour que celui-ci eût enfin quelque chose d’intéressant à lire dans le métro en rentrant le soir, fermons la parenthèse.) Pianotant sur le cadran, il poussa à fond le volume du haut-parleur, afin que la salle entière pût profiter pleinement de sa parfaite diction oxbridge :

 

Hello, Mark, how are you doing ?

 

Ça gaze, répondit Mark qu’était français, j’ai plein de tuyaux à te refiler pour empocher un maximum de blé en un mi… et là, couic. Plus rien. Son coupé. Circulez, y a rien à voir. E finita la comedia. La suite concernait Lapaire et personne d’autre. Et pendant qu’il adressait à son interlocuteur des hu hu et des hin hin d’approbation, Aurore commença à compter les libellules qui voletaient à l’écran. Le chef en avait pour un moment. Elle avait de la marge. Elle pouvait compter les libellules. Y en avait plein. Des mauve. Des parme. Des bleues, des vertes. Dieu que c’était joli, ces libellules légères qui faisaient toutes sortes de figures pour les beaux yeux d’Aurore, des loopings, des huit, des double salto avant et des pirouettes arrière. Il en venait de partout. A la quatre vingt dix-neuvième, une voix tonitrua dans son dos :

 

Non mais qu’est ce que vous foutez ? Vous voulez un hamac ?

 

A ces mots, toutes les libellules s’envolèrent. Lapaire faisait des cla-clo nerveux avec sa langue en faisant sauter le fric au fond de son froc. Ça chauffait. Il n’y avait pas de temps à perdre. Les doigts d’Aurore partirent au grand galop sur les touches. Ils firent si bien crépiter le clavier que Lapaire interrompit brusquement tout bruit de bouche, regagna sa table et décrocha le téléphone.

 

C’était l’heure de « l’appel à Geneviève ». Son épouse. Qui attendait ses ordres en filant la laine à sa fenêtre à meneaux. Achète du Pliz. Appelle ma mère. Cire mes godasses. Ainsi le large spectre de la vie domestique était-il balayé comme il le méritait. Ce lundi-là, Lapaire fit de son mieux pour que chacun puisse entendre qu’ils seraient douze à dîner, mais que comme Poulard bouffait comme quatre, fallait au moins compter cinq kilos de saumon. Bon c’est pas tout ça, mais faut qu’j’ te laisse, je file en réunion puis je lunche à la Maison du Câviâr, claironna-t-il. A ces mots, Aurore aperçut, tout au fond de la salle, suspendu entre les panneaux qui donnaient l’heure à Londres et à Tokyo, un grand hamac convivial en feuilles de pandanus.

 

Lapaire était parti. C’était le moment d’aller prendre un café.

Ou un Royco Minute, Soupe.

Ce qu’on voudrait.

 

Quand Aurore regagna sa place, l’ordinateur s’était mis au repos. Il avait une fâcheuse tendance à pratiquer comme elle la veille automatique. Elle tapa des chiffres dans des cases, pour le ranimer, tip, tap, tip, tap, tipétipétap, tout en faisant un compte à rebours. A treize heures quarante sept, elle avait rempli toutes les cases. Elle avait le tournis. C’était bien. C’était beau. Les richesses avaient été redistribuées aux quatre coins du monde. Les actions d’Amérique latine s’étaient sévèrement remusclées. Celles de Malaisie aussi. Les fonds à risques faisaient mentir tous les pronostics de Jean Pierre Legaillard. Même les fonds émergents avaient bondi de 47%. Les investisseurs seraient contents. Sauvegardant son document, elle l’envoya à toute la clientèle de Lapaire.

 

Puis elle eut faim. Autour d’elle, la salle était vide et les écrans noirs. Elle descendit les escaliers, puis elle se mit à courir jusqu’au Palais du chocolat.

D’une traite.

L’annonce était encore là. Elle entra dans la boutique, et se présenta au gérant sous son meilleur profil.

 

Aurore Cortès de Cruz de la Plata. Arrière-arrière-arrière petite nièce du grand-oncle du type à qui l’Europe doit la découverte du  cacao.

 

Bien, fit le gérant. Nous cherchons une vendeuse bilingue. Il y a beaucoup d’espagnols par ici. Etes-vous bilingue ?

 

Ma que si, improvisa Aurore. 

 

Le gérant s’abîma dans des pensées profondes. Puis il ouvrit un tiroir et sortit un contrat. Voulait-elle commencer tout de suite ?

 

Por favor, remercia Aurore.

 

 

*

© Désirée BOILLOT

 

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Deux textes  de Désirée :

« On nous cache rien, on nous dit tout » et « Jaunie » sur le site Calipso.

 

 

 




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