Une nouvelliste et romancière : Désirée Boillot Désirée a une plume magique. Ses écrits sont vifs, enlevés et
percutants. Elle décrit les travers humains avec un humour caustique qui nous
transporte de bonheur. Bon nombre de ses nouvelles ont été récompensées dans
des concours réputés. Voici deux romans de Daisy publiés par Zonaires,
antérieurement au recueil de nouvelles "La passerelle du hasard"
annoncé en page d'accueil. ______________________________________________________________________________________________ Outre
les ouvrages déjà évoqués, Daisy a publié : "Au delà des dunes..."
conjointement avec Alain Emery et Annie Mullenbach aux éditions
"Nouvelles Paroles", 2010 "Le moindre mal", "La traversée du désert", "Léon", "Courage mon double", quatre
nouvelles dans quatre petits livrets de la collection Miniliv' des éditions
du Banc d'Arguin, 2011. "La mouche", recueil de 12
nouvelles chez L"Harmattan, 2014.
Un grand plaisir de lecture asssuré avec les huit nouvelles de Daisy qui suivent : 1)
Homo politicus 2)
Recherche d'emploi 3)
Traquenard dans un hamac 4)
Fin guidon 5)
Papino 6)
Coup de Balai 7)
Au rendez-vous de la gloire 8)
Ce lundi-là
A soixante ans passés,
Marcel Charkonak aimait à se remémorer le secret qu’il confiait, entre deux
roudoudous, à l’oreille attentive de sa chère maman Lulu : Quand je serai grand, je serai Président
de la République. Cette phrase pleine d’enthousiasmantes perspectives
l’avait rendu célèbre dans la famille. Il n’était pas seulement le petit
Marcel qui avait un faible pour les roudoudous, mais celui qui, un beau jour,
troquerait les bonbons de l’enfance contre le poste glorieux de chef de
l’Etat. Il avait toujours poursuivi le même rêve, avec acharnement. Les élections approchaient.
A l’Elysée, on avait commandé des boîtes pour l’archivage d’un trépidant
quinquennat fait de bas très hauts, et de hauts très bas. Le Président
sortant s’appelait Jean-Aymar du Marasme, et son visage ravagé prouvait
combien l’épreuve avait été rude, malgré un séjour de remise en train avec
cours intensif d’ukulélé, dans un palace fleuri de Pépète, Polynésie. Il
était grand temps qu’il renonçât à la charge écrasante des affaires de
l’Etat. Au cours des cinq dernières années, son équipe en place avait abattu un
boulot considérable. Elle s’était appliquée à donner à la chose politique un
nouveau visage. On avait fait table rase du passé avec une efficacité
redoutable. Même la constitution de la République était bonne à mettre à la
casse ! Tout était à refaire. Insensiblement, les partis de gauche et de
droite s’étaient dilués au profit d’un immense Milieu, où tous les coups
étaient permis. Côté médias, la donne était
nouvelle. Les candidats à la présidence devaient accepter de se montrer sous
toutes leurs faces, côté cuisine comme côté jardin. L’équilibre entre ces
deux pôles n’étant pas facile à trouver, de nouveaux chevaliers apparurent,
les conseillers en communication. Souvent, leurs avis différaient. Certains
prônaient l’étalage des hobbies à la télévision, – il n’y avait aucune honte
à ce que les téléspectateurs apprissent que dès le vendredi soir, Fernand
Fripouillard, (leader incontesté du Parti du Milieu de Terrain), filait à son
cours d’accordéon, pourvu qu’il sût en parler avec des accents sincères –,
d’autres penchaient pour la confidence des problèmes domestiques – qu’ils
soient apparus avec le conjoint, les enfants, le chihuahua, l’entourage, tout
était bon à déballer à une heure de grande écoute –, d’autres encore
préconisaient le sourire à l’épreuve des balles, mais aussi et surtout,
l’entretien d’un teint hâlé de janvier à décembre. Les instituts de beauté
faisaient fortune. Si les as de la
communication dispensaient des conseils différents, tous s’accordaient à
reconnaître que ce qu’il fallait viser, avant toute chose, c’était l’effet :
« Plus près de toi, mon peuple », et non : « Hollywood,
chewing-gum ». Ainsi, le glamour était banni. Il était vital que les
candidats fussent considérés par leur électorat comme de bons petits gars
capables, l’heure venue, d’inviter les éboueurs à une joyeuse collation entre
deux bennes d’ordure à vider à la décharge. Pour tous ceux qui se tenaient
sur des starting-blocks, les dents en avant, guettant l’annonce officielle du
lancement de la campagne à la présidence, c’était là une règle d’or. L’échéance se rapprochant à
grands pas, on constata en avant-première, dans des tabloïds à sensation, que
certains prétendants au poste suprême avaient appliqué les recommandations de
leurs conseillers au pied de la lettre. On pouvait les voir sur une pleine
page qui descendaient leurs poubelles en caleçon, sortaient Mirza en agitant
un sac réglementaire fourni par la mairie, ramassaient dans le caniveau avant
le passage des motocrottes, mangeaient bio, plantaient leurs choux bien
alignés et triaient leurs déchets à la perfection, le verre à droite, le
papier à gauche, tout le reste au milieu. Une vie banale, en somme. Les jours défilaient à vive
allure. On se bousculait au portillon des médias, qui crépitaient à
l’unisson. Des portraits de candidats étaient placardés sur les murs,
aussitôt recouverts par d’autres visages. Il n’était pas rare que les
panneaux d’affichage s’effondrassent sous le poids de la colle. Les émissions
politiques s’étaient multipliées. Avant le lancement d’un reportage dit
«d’intérêt public», les chaînes s’évertuaient à dénicher un jingle de
générique suffisamment hypnotique pour bloquer tout réflexe de zapping dans
le poignet du téléspectateur. Du bas jusqu’en haut de l’échelle, à tous les
barreaux, il fallait absolument séduire. Le Français des villes et le
Français des champs, le Français bloggueur et le Français surfeur, le
Français Fauchon et le Français fauché, le Français domestique, le Français
sauvage, le Français portant à gauche mais votant à droite, et inversement,
il fallait tous les conquérir. Quant aux Françaises… Brunes, blondes, rousses
ou teintes en vert, il fallait toutes les emballer, et plus vite que ça, non
mais ! La Française Omo et la Française Persil, la Française à nattes et
la Française à couettes, la Française Aquoibon
et la Française ZyvaZizou, la
Française Lola, la Française Rastaquouère, la Française en forme, la
Française en panne, la Française à lunettes et la Française à barbe. Il
fallait ratisser large. Marcel Charkonak
connaissait les règles du jeu, dont il ne s’inquiétait guère. Il fuyait les
excès, les saillies, les bons mots, les pantalonnades. Il était le seul candidat à arborer un teint
d’endive et des costumes mal repassés. Il n’avait pas de conseiller en communication.
Il était calme. Pépère tranquille. Depuis qu’il avait embrassé la carrière
d’homme politique, il passait pour le Président du Parti du Milieu du Centre.
Il adoptait un profil ni haut ni bas, mais toujours intermédiaire. Il pouvait
se le permettre ! Il avait la conviction inébranlable que son tour
arrivait, même si beaucoup semblaient avoir pris plusieurs longueurs d’avance
sur lui. Le désir de laisser sur le carreau son concurrent direct, Cédric
Gallopin, le démangeait depuis des mois, mais il n’en laissait rien paraître.
Gallopin était le Chef du Parti du Centre du Milieu, dont le siège était
situé sur la rive gauche de la Seine, alors que celui de Charkonak se
trouvait sur la rive opposée. C’est dire s’ils étaient antinomiques ! Quand la course à la
présidence fut officiellement lancée, Marcel Charkonak attendit le dernier
moment pour faire part de sa candidature. En habile diplomate, il avait su
tempérer ses ardeurs de jeunesse. Il déclina poliment les offres tapageuses
des médias. Les confrontations télévisuelles en prime time auraient donné lieu à des débordements inutiles, et
rédhibitoires pour la suite. Ce qu’il voulait, c’était incarner la sérénité.
Pour cela, une attitude posée était indispensable. Il accordait quelques
interviews, de-ci de-là, - comme on remplit quelquefois une petite grille de
Loto entre deux Picon bière -, uniquement pour indiquer qu’il était toujours
dans la course. Aux élections précédentes, Marcel avait été malheureusement
battu à la suite d’un lancer de peau de banane qu’il n’avait pu esquiver à
temps, mais dont il avait su tirer des leçons de conduite politique. Il avait
tempéré sa fougue, renoncé aux sarcasmes dont il était coutumier. Il ne
confiait plus aucun secret aux journalistes, de peur que ceux-ci n’en fissent
leurs choux gras dans un livre à gros tirage. Quelque temps auparavant,
un best-seller sur la passion mouvementée de Guy Goultard, - l’ancien
Président du Parti du Milieu de la Zone - pour Kiko Kulbuta, une belle
Espagnole dotée d’un tempérament de feu, s’était vendu à des centaines de
milliers d’exemplaires, l’obligeant à démissionner. L’ouvrage ne comptait pas
moins de cinq cents pages consacrées aux activités extraprofessionnelles de
Goultard. Elles étaient coupées par un cahier central de photos inédites
dudit Président déguisé en Batman, monté sur une commode et dominant Kiko,
enchaînée nue aux barreaux du lit. L’auteur de l’ouvrage, - un certain Franz
Olivert Gibbon -, avait jugé utile de préciser que ce jour-là, Guy Goultard
s’était pris les pieds dans sa cape, et avait fini à l’hôpital. Marcel Charkonak trouvait
odieux que l’on se servît de la vie privée à des fins publiques. Il n’avait
pas de temps à perdre avec les ragots. Qu’il eût pris jadis des cours
particuliers de pétanque ne regardait personne d’autre que lui ! Par le
passé, il avait dû recoller les morceaux épars de sa personnalité d’homo politicus, mis K.O. par des
adversaires irréguliers. Il s’était recomposé comme on répare une
marionnette, clou par clou, pièce par pièce, ressort par ressort, avec
patience et méthode, sous le regard bienveillant de Maman Lulu. Au fil des
années, son personnage d’homme paisible, décontracté sans ostentation,
s’était affiné. Il avait travaillé. Creusé dans la tempérance. Il avait
réappris à sourire sans grincer des dents, réappris sa France à lui. C’est ainsi qu’un beau
jour, saisi d’une heureuse inspiration, il avait ressorti son vélo des
familles. Ça, c’était le plus. L’astuce absolue, l’étincelle fulgurante. Le
trait de génie ! Où qu’il allât, il ne partait jamais sans sa bécane. Il
prenait le T.G.V. avec elle, le bus, l’avion, le métro avec elle. Il allait
sur les routes de France en poussant sur les pédales, par tous les temps.
C’était sa campagne à lui, et sur deux roues seulement. Lorsqu’il eût sillonné sur
son vélo chaque département de l’hexagone, il monta à l’assaut de la
capitale. Cela se sut. A Paris, il suffit d’un simple petit bruit de couloir
pour qu’aussitôt, celui-ci se répande comme une traînée de poudre. Les
Parisiens se mirent à sortir le dimanche pour tenter de l’apercevoir, penché
sur son guidon. On guettait aux fenêtres, caméra au poing, le cœur battant.
Marcel Charkonak n’était dupe de rien. Il avait appelé cela ses
« rendez-vous dominicaux », et pour rien au monde il ne les aurait
ratés. Il actionnait la mécanique dans un costume élimé, les poches bourrées
de roudoudous à la fraise qu’il distribuait généreusement en attendant le feu
vert. Parfois, il emmenait Madame prendre l’air, quand le parcours en valait
la peine. Il passait, joyeux, poussant la chansonnette, mais toujours mezzo voce. A vélo, dans Paris, on dépasse les taxis, à Paris, en vélo, on
dépasse les autos, et tout le monde, sur son passage, était conquis. Tenu au courant des
fantaisies vélocipédiques de Charkonak, Cédric Gallopin s’acheta une belle
bicyclette rouge groseille. Il n’allait certainement pas se faire damer le
pion, si près du but ! Un dimanche, alors qu’il descendait les
Champs-Elysées debout sur sa selle – cela pour contredire la rumeur selon
laquelle il n’était pas cap’ de le faire –, il brûla un feu et s’emplafonna
dans une ambulance. Les médias voraces s’emparèrent de l’affaire. A deux
semaines des élections, des photos des ligaments rompus de son genou gauche
circulèrent un peu partout. On jasa. On se gaussa. On se tint les
côtes ! Ce fut le coup de grâce. Soudain, la voie était libre. Marcel Charkonak fut élu
dans la liesse. Quant à Maman Lulu, elle expira dans un soupir d’extase. * © Désirée
BOILLOT Désirée nous offre ici une satire sociale sans
concession. L’obsession du profit conduit les grands épiciers et leurs
publicitaires à regarder les gens comme ils voudraient qu’ils soient, de
gentils toutous faisant le beau pour avoir le susucre. Désirée joue le jeu... Recherche
d’emploi L’autre jour, je suis tombée sur une offre d’emploi
épatante, qui émanait de la Société Vénérable, − une banque
suffisamment aimable pour donner de l’argent gratuitement à tous ses
distributeurs −, et qui commençait par : Société Vénérable vous dit
trois fois oui dans un gros
encadré rouge framboise. Youpi. Moi qui adore les gens qui me disent oui,
cette annonce semblait parfaitement cadrer avec mes aspirations secrètes, donc
tout de suite, je me suis plongée dans le premier paragraphe : Ce
que vous aimez dans la société en général, vous l’aimerez dans la nôtre en
particulier. Wouah. Ciel. Ça m’a coincé une bulle quelque part.
Que c’était bien dit, tout de même. C’était de la philosophie, de la vraie,
qui s’adresse aux initiés, et non aux amateurs qui croient que Vico, c’est le
roi de la pomme de terre (alors que chacun sait qu’il existe un Giambattista
du même nom, philosophe de son état, qui vivait paisiblement à Naples à
cheval entre le 17ème et le 18ème siècle mais qui s’en
portait fort bien ma foi, filez vérifier sur Gougueule). Mais revenons à la
première proposition de cette belle phrase. Qu’est ce que j’aimais dans la
société en général ? Pas facile. Subtil. Ça faisait germer en moi un
véritable questionnement philosophique (Où va-t-on ? Que fait-on ?
Y a-t-il du jambon ?) Je n’allais tout de même pas aborder un quidam
dans la rue pour savoir ce que lui aimait dans la société en général, vu que
certains sont tout à fait capables de vous répondre qu’ils aiment les frites,
les teufs et les meufs qui posent des questions à la con, et tout ça avec un
œil lubrique. Donc je me suis abstenue d’interroger le premier
passant, j’ai abandonné la deuxième proposition de la phrase qui volait trop
haut pour moi, et j’ai continué ma lecture de l’annonce : La quarantaine épanouie et plus, nous recherchons
des collaborateurs blablabla... J’avais la quarantaine, aucun doute, mais
s’épanouissait-elle pleinement dans la société en général ? C’est la
question qui m’est venue à l’esprit. Et d’abord, qu’est ce qu’ils
entendaient, au juste, par : quarantaine
épanouie ? La quarantaine qui s’achemine vers la
cinquantaine en sautant d’un pied sur l’autre, tralala, youplaboum,
nique nique douille ? La quarantaine bien dans sa peau qui s’éclate à mort à
l’aquagym et se la pète en boîte tous les samedis soirs sur le remix au
synthé de Viens Poupoule, viens
Poupoule, viens ? Et puis pourquoi recherchaient-ils des quadragénaires
expérimentés en quête de nouveaux horizons ? C’était complexe. La
quarantaine, si elle est vraiment épanouie, ne va chercher nulle part de
nouveaux horizons. Elle s’épanouit, peinarde, sur son rivage, à l’abri des
sirènes publicitaires. C’était pas si clair que ça, leur truc. Mais je
continuai ma lecture : Vous qui avez des idées et des envies blablabla… partagez la vision de Société Vénérable
blablabla… une banque ouverte sur le monde. Point. Allez
zou, tout le monde descend. A ce stade, il y avait tant de données nouvelles,
qu’il m’a fallu analyser la richesse intrinsèque de ce que je venais de lire.
Tout d’abord, avais-je des idées ? Non. Pas des masses. Du lundi au
vendredi, je n’ai pas beaucoup d’idées. C’est bizarre, mais c’est seulement
aux abords du week-end que ça commence à sérieusement s’agiter. Avais-je des
envies ? Oui. Indéniablement. J’ai des tas d’envies de toutes sortes du
lundi au dimanche. Manger des glaces, improviser la danse des canards dans la
cour de l’Elysée, relâcher les animaux du zoo, gagner au Loto, partir à
Hawaï, siroter un rhum en regardant le coucher de soleil sur le lagon entre
deux cocotiers, une paille entre les doigts de pied, ça me botterait bien, ça
oui ! Plus ça va, plus elles sont en expansion, mes envies. Ma frénésie
lotesque deux jours avant le tirage de la super cagnotte suffirait à le
prouver. Ensuite : qu’est ce qu’elle entendait, la
Société Vénérable, par son : « Partagez la vision ? » C’était
quoi, au juste, sa vision d’une banque ouverte sur le monde ? Pour en
avoir le cœur net, je poussai ma lecture jusqu’au slogan final : La croissance. C’est bon pour nous. C’est bon pour
vous. Alors là. Je ne vous raconte pas la chute du haut de
l’Olympe. Aspirée par les abysses. Couverte de boutons. Moi qui ai
complètement foiré la mienne, de croissance, (me refusant obstinément à
dépasser le mètre cinquante-sept comme la Lolita de Nabokov, qui, lui,
n’était pas un philosophe napolitain), j’avoue que j’éprouve une inexplicable
poussée de haine lorsque ce mot de croissance a l’insolence de se mettre en
travers de mon chemin. D’autant plus qu’il s’agissait de la croissance de la
Société Vénérable, dont je suis forcément jalouse puisqu’elle ne pose
apparemment pas de problèmes majeurs (de même que les bénéfices de Vévé aime
Ache). Tout bien réfléchi, non, je n’avais pas du tout
envie de les rejoindre, les gars de la Société Vénérable, alors j’ai refermé
le journal. © Désirée Boillot Mon Dieu, mais quelle brise délicieuse… Et ce hamac
en coco est d’un confortable ! Tout à fait ce qu’il faut pour lire mes
manuscrits ! Ma belle-mère est d’un dévouement… Comme elle a eu raison
de m’installer sous le mûrier ! L’ombre de ses branches est divine, exquise…
Qu’il est bon de se faire dorloter par cette femme exceptionnelle, qui
connait si bien mes goûts ! Je ne peux rien lui refuser. Pas ça !
Depuis le début des vacances, elle est aux petits soins pour moi. Non
seulement elle me cuisine sans arrêt des plats délicieux, mais elle tempère
aussi les assauts de Mathilde ! Telle mère, telle fille : Tu
parles ! Il n’y a rien de plus faux ! Si je n’étais pas aussi bien
installé, je ne pourrais pas m’astreindre à mon pensum. Un éditeur en
vacances ne peut pas endurer la lecture de deux cents pages, s’il ne
bénéficie pas des meilleures conditions ! Pour cela, le jardin est idéal. Surtout
quand les enfants sont partis à la pêche… S’il fallait que je compte sur
Mathilde pour me procurer un peu de bien-être ! Sans arrêt sur mon dos…
Elle me persécute. Il a fallu que je démêle les cannes à pêche des mômes, que
j’entortille les vers au bout des hameçons, avant de pouvoir enfin goûter un
moment de sérénité… Voyons, j’en étais où ? Page trois… Non. Je viens de
lire l’intro sur la présentation du canari. Page cinq. Embrayons, en avant
toutes… Cet Eusèbe me donne envie de dormir. D’abord, quelle idée de
s’appeler Eusèbe ! Je t’en ficherai, moi, des prénoms pareils… Il s’agit
d’un pseudo, sans aucun doute. Franchement, je me demande où les gens vont
chercher ça ! La Traversée du
désert, en plus. Quel titre ! Nul. Prétentieux ! Pourquoi
pas : Voyage au bout de la nuit,
tant qu’on y est ! Franchement, c’est lamentable. Reprenons. « A force de se balancer comme un
dingue, le canari se trouvait maintenant pris sur son perchoir dans un swing
vertigineux… » C’est la meilleure de l’année, celle-là. Il est
vraiment très con, ce canari. Je sens qu’il va mal finir. Soit dans la gueule
du chat, soit écrabouillé au milieu de ses graines. Comment se fait-il que le
comité de lecture ait pu me laisser lire un truc pareil ! Les filtres
n’ont pas fonctionné cette fois-ci. Continuons. Page sept. « …l’énergie du canari semblait
s’être décuplée, peut-être se grisait-il aussi, comme un petit enfant épris
de liberté … » Moi aussi, j’ai envie de me griser un bon coup. Un
verre de pinard à ras bord, pour faire passer les exploits de ce crétin
d’oiseau. Je vous jure… Flûte, le vent se lève. Et bien sûr, l’auteur de
cette œuvre géniale n’a pas pris la peine de brocher son manuscrit.
Merde ! La page huit s’est envolée ! Ouf. Je la vois qui s’enroule
autour des grilles du jardin. Elle n’ira pas bien loin, j’irai la récupérer
tout à l’heure. Reprenons cette palpitante épopée. Je saute les pages neuf,
dix… « …c’est alors que le chat,
sans doute attiré par le raffut épouvantable qui régnait à l’intérieur de la
cage, s’avança vers l’oiseau sur ses pattes de velours… » Qu’est ce
que je disais ! Le voilà, le gros matou ! «… bondissant sur la table, il se posta dans une attitude de défi
devant les barreaux vernis… » C’est mal dit, ça cloche, cette
attitude de défi. Qu’est ce qu’il peut défier, le chat ? Rien du tout.
Même pas ses moustaches… Il meurt d’envie de se faire l’oiseau, oui ! Et
puis qu’est ce qu’on s’en fout, tiens ! Bon. Page onze, douze,
blablabla… Allez, zou. Chapitre deux. Allons-y voir comment qu’il se démerde,
le cui-cui…. Il continue de faire de la voltige sur son trapèze ! Il est
obsédé, ou quoi ? C’est quand qu’il arrête de me donner la nausée ? « …
Il exécutait des pirouettes et
d’élégants saltos arrière, défiant les lois de l’équilibre, narguant le chat
qui miaulait d’énervement… » Nous voilà bien ! On le
comprend, le chat. Franchement, y a de quoi devenir nerveux. Vite, chapitre
trois. Heureusement que c’est écrit en gros caractères… Ah. Enfin, un nouveau
personnage. Je commençais à m’emmerder sévère. « Alertée par le bruit insolite qui filtrait par la porte, Gertrude
entra brusquement dans la pièce… » Gertrude ! De mieux en
mieux ! Et d’abord, d’où c’est qu’elle sort, celle-là ? Elle peut
pas frapper avant d’entrer, comme tout le monde ? Ça aurait fait une
ligne de plus, tant qu’à bourrer… « Constatant que l’oiseau était
en mauvaise posture, elle se précipita, mains en avant, pour faire fuir le
matou… » Bonne et saine réaction. Du balai, le matou. Dégage. Laisse
le pov’ zoziau en paix. Frrrrout. « … mais le chat se mit à feuler et à cracher, et dans une attitude de
menace, il se hérissa comme un tigre, gonfla son poil, doubla, tripla,
sextupla de volume, devint menaçant… » Où c’est qu’on va, là ?
Je sais pas pourquoi, mais je flaire un parfum de science-fiction tout à
coup... Flûte, ce vent. La page trente-deux file vers la piscine. Merde. Je
ne la vois plus, elle aura coulé. Faudra que j’aille la repêcher avec l’épuisette…
Y en a marre. Et puis ça fraichit… Page quarante-quatre… Le chat s’est
transformé en tigre, ok, je passe… Page cinquante. Il a bouffé Gertrude
aussi. Ben dis donc, il est pas sympa, ce félin. Allez hop, je m’en vais me
farcir le chapitre huit en diagonale, vite fait… Y en a combien, au fait, de
chapitres ? Quinze. C’est jouable, ils sont tous à la pêche, je suis
peinard. Avec un peu de chance, quand ils rentreront, j’aurai fini cette
passionnante Traversée du désert.
Courage. On se cramponne, on saute les digressions nulles… Chapitre je ne
sais plus combien : « Où Gonzague terrasse la bête ». Allons-y
alonzo, chaud devant. « …En
traversant la rue des Peupliers du pimpant village de Bondoufle, une
expression de stupeur se peigna sur le visage du jeune homme ». Ben
bravo ! Peigna ! Je m’en vais te peigner le cuir, moi, tu vas voir
ça, Eusèbe ! « Malgré la
grande distance qui le séparait de la maison, il eut une sorte de
prémonition. L’odeur du sang imprégnait ses narines, lui faisant redouter le
pire… » Il a un pif épatant, le Gonzague. Il flaire l’odeur du sang
à des kilomètres à la ronde, comme moi pour les navets. Poursuivons. « Il poussa la grille du jardin d’une
main tremblante, car il croyait ouïr des rugissements épouvantables… »
Croyait ouïr des rugissements épouvantables ! Il fallait l’écrire !
Faudrait que ça figure dans des annales. Que d’âneries, mon Dieu, mon Dieu… « …c’est alors que Gonzague discerna
une boule de fourrure rousse ramassée sur elle-même, planquée entre les
tuiles du toit… ». M’est avis qu’il va lui arriver une méga tuile,
au Gonzague. De la très très très grosse tuile. Merci, le vent ! Plus de
page quatre-vingt trois. Partie en vol plané par-dessus les thuyas, la page
quatre-vingt trois ! Vive le mistral ! Tout le chapitre neuf s’est
envolé. C’est joli, sur le gazon, ces feuillets qui dansent… C’est décoratif.
Un tapis de feuilles légères maculant de blancheur l’herbe verdoyante… Trêve
de lyrisme. Déjà seize heures. Accélérons un peu, j’ai hâte d’en finir.
Chapitre douze… « Où Gonzague marcha dans le désert, longtemps… ».
Aïe aïe aïe ! J’ai loupé une ellipse, là. Pas question de me la frapper.
Mais qu’est ce qu’il fout, dans le désert, Gonzague, après avoir défié le
tigre du Bengale sur le toit ? Il aurait pas mieux à faire que de
compter les vautours ?... Oh, que c’est mal écrit ! : « …
Les dunes moutonnantes lui firent
penser à des dômes dorés de soleil, et il courait maintenant pour les
attraper… » C’est même pas érotique ! A la place de dômes,
j’aurais mis des seins ! Y a pas photo. Les dunes de sable évoquent de
gros nibards, ça tombe sous le sens ! Enfin. Chacun ses fantasmes. Plus
que quatre pages, et c’est plié…. Plus
que deux, les autres sont allées rejoindre le tapis sur l’herbe. Je mettrai
les enfants à contribution. Ils me ramasseront tout ça. Je ferai écrire trois
lignes de refus par le comité de lecture, et l’affaire sera dans le sac.
« Cher Monsieur, nous avons hautement apprécié vos qualités littéraires,
mais blablablablabla, votre manuscrit ne correspond pas à notre ligne
éditoriale ». Voyons la fin… « Un
rayon de soleil perça soudain les persiennes. Quand Gertrude souleva ses
paupières encore lourdes de sommeil, elle vit le chat au-dessus d’elle, qui
la fixait de ses yeux jaunes». Ben voilà. C’était un rêve ! Et
le chat attend que Gertrude lui file à bouffer ! Ha ha ha ha ha !
C’est nullissime, ce machin ! Je m’en vais lui passer un sacré savon, au
comité de lecture. Ça va sérieusement barder. Et j’ai faim, maintenant. Mais
voilà justement ma belle-mère qui arrive avec mon goûter. -
Alors, cette
histoire ? Elle vous a envoûté ? Pris par la main jusqu’au fond du
jardin ? -
En quelque
sorte, Mamie.... -
Comme je suis
heureuse ! Venez que je vous embrasse ! -
… -
Maintenant je
peux vous le dire : Eusèbe, c’est moi ! -
Vous ? -
Parfaitement !
Vous avez aimé l’action ? -
A… A…. Ah mais
vachement. Terrible. -
Que je vous
raconte : tout est parti de Coco. Un matin, il se balançait sur son
perchoir comme un petit fou et la suite m’est venue d’une traite ! -
Par exemple… -
J’ai commencé, doucement,
par une gentille petite scène domestique, inoffensive, un peu à la façon de
Flaubert vous voyez, et puis je me suis piquée au jeu, et j’y suis allée à
fond les ballons ! -
En effet. Il y
a vraiment une sincère, une éprouvante montée de l’action… -
N’est ce
pas ! J’ai travaillé mes effets, avec le chat qui se transforme en
tigre… -
Très étonnant
ce passage ! -
Ensuite,
l’imagination a pris le dessus, que voulez-vous. Je n’ai rien pu contrôler… -
Ça se sent,
c’est vrai… -
Et j’ai
brouillé les pistes, tissé des fils jusqu’à la chute ! -
Très bien, la
fin. Vraiment ébouriffante. J’ai été tenu en haleine, à tel point que je ne
me suis pas rendu compte qu’il y avait du vent. -
Alors ? -
Alors,
quoi ? -
Quand est-ce
que je signe mon contrat ? -
Ben…Euh… On
pourrait envisager… -
Septembre ?
-
Vouiii… Juste
une chose. Le titre cloche un peu. -
Mais on change
tout de suite ! Tiens : « Voyage au bout de la nuit »
s’il n’est pas déjà pris ! Vous êtes un ange, mon petit Jean ! * © Désirée Boillot Freinez, mais freinez, merde ! Qu’est ce que vous
fichez ? Et puis regardez dans le rétro quand vous doublez ! J’ai
jamais vu ça. Allez, accélérez, maintenant, vous voyez bien qu’il n’y a
personne devant vous, roulez ! A ce train-là, on y sera encore demain ! Ce qu’il peut m’énerver,
ce type. Je déteste les gens qui hurlent, surtout quand je conduis. Freinez,
accélérez : il faudrait savoir ! Ils ne savent dire que ça, les
examinateurs. C’est vraiment pour qu’Ursule me fiche la paix que je me suis lancée
dans cette galère. « A trente-trois ans, il serait temps que tu saches
conduire ! » Je vous jure… Sans comptez que ça coûte une fortune,
les leçons de conduite. Tu parles d’une partie de plaisir ! Si j’avais
su, j’aurais dit non, sans hésiter. Je m’en fiche complètement, moi, d’avoir
ce satané permis. Les transports en commun, c’est pas pour les chiens. Mais
quelle idée j’ai eu d’accepter de passer cette épreuve, quelle idée !
C’est toujours comme ça : il faut que je m’écrase pour obéir aux quatre
volontés de tous ces types qui ne pensent qu’aux bagnoles. Ras-le-bol, moi,
des bagnoles ! Et puis c’est bien beau de l’avoir, le permis, encore
faut-il ensuite pouvoir continuer à conduire ! Tout est là. Apprendre,
c’est bien ; pratiquer, c’est mieux, c’est comme pour tout. Et moi je
sais bien que jamais Ursule ne me laissera poser les mains sur le volant de
sa nouvelle Twingo. Pas la peine de rêver, il préférerait se faire écarteler
plutôt que de me voir toucher à sa bibiche qu’il bichonne à la peau de chamois,
le dimanche. Il me refilera les cartes routières pour que je le guide, et
basta. Je ne serai bonne qu’à tenter de lire ces cartes routières auxquelles
je ne comprends bien, et nous nous retrouverons, comme la dernière fois, à
Bordeaux au lieu de Dijon ! Et puis à quoi bon m’appliquer pour ce type qui
n’arrête pas de me donner des ordres et des contre ordres ! Accélérez, que diable, on se traîne, là, derrière tous ces
camions, allez, on enclenche la cinquième, dans la joie et la bonne humeur,
vous me dépasserez dans la foulée la caravane qui ralentit la file depuis une
demi-heure, c’est d’un pénible, ces caravanes… Et puis faites attention aux
motos qui arrivent comme des trombes sur votre droite, restez au milieu de la
file, vous avez une fâcheuse tendance à louvoyer ! - C’est à cause du vent. - Le vent ! Il a le dos large, le vent. Toutes
pareilles. Quand c’est pas le vent, c’est le brouillard, quand c’est pas le
brouillard, c’est la pluie, quand c’est pas la pluie, c’est le verglas, quand
c’est pas le verglas, c’est les feux. Roulez, bon sang ! Et gardez vos
mains à dix heures dix sur le volant, combien de fois faudra-t-il que je vous
le répète ? Vous avez vu où elles étaient, vos mains ? Elles
étaient à sept heures vingt. C’est pas à sept heures vingt qu’elles doivent
être, vos mains, mais à dix heures dix, enfoncez-vous bien ça dans le
crâne ! Non mais pour qui se
prend-t-il, ce type ? Je t’en ficherai, moi, des sept heures vingt et des dix
heures dix ! Si j’ai envie de les placer à trois heures moins le quart,
mes mains, je me demande bien qui pourrait m’en empêcher !...
Remontons-les quand même un peu, il serait capable de me recaler. Faites attention et tenez votre droite : vous continuez
à louvoyer ! Quel emmerdeur !
J’y peux rien, moi, si la voiture fait des embardées ! Avec ces vieux
tacots pourris qu’ils vous refilent pour l’examen et qui s’envolent au
moindre coup de zef, il faut s’attendre au pire ! Regardez donc un peu ce qui arrive derrière vous sublime et
jaune, en vous faisant de gros appels de phare… Une Lamborghini.
Rabattez-vous tout de suite à droite, vite, grouillez-vous, profil bas et les
mains à dix heures dix. Laissez passer la Lamborghini. La race qu’elle
a ! Matez-moi cette ligne ! Pure ! Une fusée ! Ah les
Italiens ! Question bagnole, ils assurent à mort. Profil bas… On croit
rêver. Tout ça pour ce machin qui roule un peu plus vite que les autres…
Quelle pitié. Si je devais m’acheter une caisse, jamais je ne la choisirais de
cette couleur. Beaucoup trop criard, ce jaune. C’est tape-à-l’œil, et ça fait
nouveau riche. Sûr que ce sont des nouveaux riches qui conduisent un machin
pareil. Ils ont dû gagner à la loterie. Dès qu’on rentre, je vais me faire
une petite grille de derrière les fagots avec les numéros de la plaque de la
Lamborghini, ça va pas traîner, et si je gagne, je m’exile sur une île sans
voiture. Y a que les parvenus ou le Président de la République pour s’acheter
des trucs clinquants comme ça. Rabattez-vous sur la file de droite. Nous allons prendre la
prochaine sortie, ensuite nous ferons des créneaux. Allons bon. Je suis
nulle en créneaux. J’ai beau m’appliquer, je me gare toujours de traviole.
Les roues dépassent à chaque fois. Voilà la sortie. Allez du nerf ; le
clignotant, un coup d’œil dans le rétroviseur, un petit virage tout en
souplesse, voilà, un autre à la corde, tout baigne. Bien. Continuez tout
droit, à hauteur du premier feu, tournez à droite, puis à gauche, et encore à
droite le long des entrepôts, ensuite je vous préviens : la route
grimpe. Vous vous arrêterez quand je vous le dirai. Qu’est ce qu’on peut
s’emmerder sur ces routes sinistres ! Tiens, une décharge. C’est d’un
gai, tous ces vieux cadavres de tôle entassés les uns sur les autres… Les
hommes sont devenus dingues. Il faudrait signer un protocole mondial
anti-bagnole, comme ça plus de permis, plus d’accident, plus
d’embouteillages, plus d’amendes, plus de pollution, plus rien. Ouh la la,
mais c’est quoi, cette côte ? J’ai jamais vu un truc aussi abrupt… La
seconde, sinon je n’y arriverai pas… Allez, encore un petit effort, le moteur
rugit, mais j’aperçois le sommet… Nous y sommes. Maintenant, imaginez des voitures le long
d’un trottoir, et faites-moi une belle manœuvre à droite. Obéissons. Il me le
faut, ce papier rose. Parfait ! Très beau créneau. Dix points d’office. Il ne
vous reste plus qu’à me donner le nom du panneau que vous voyez, et qui se
trouve toujours en haut des côtes. - Un panneau ? Mais où ça ? Il n’y a pas de panneau ici,
seulement des éoliennes au loin, c’est tout. - Vous l’avez, votre code ? - Oui… Depuis la semaine dernière. - Bien ! Alors
quel est le nom du panneau que l’on voit au sommet des côtes ? Ça y’est, mes mains collent,
je transpire à mort à cause de ce type qui voit des panneaux partout. Il n’y
a aucun panneau au sommet des côtes, quand on foire son code douze fois de
suite, on finit par le connaître, le fascicule du permis facile. Alors ? - Alors rien. Je sèche. - Le panneau… Le panneau… - Non. Désolée. Je ne vois pas. - Le panorama ! Là, j’ai vraiment
intérêt à jouer fin guidon. Le
panorama… Ha ha. Ha ha ha ha ha. Ha ha, keuf, keuf, keuf. Je m’étrangle tellement je ris ! - Elle est bonne, non ? - Ah très ! Insurpassable. - Content de vous l’entendre dire… Allez, machine arrière,
on rentre au bercail, je vous le donne, votre permis ! * © Désirée Boillot – Juin
2007 Désirée nous offre ici une fort amusante scène de vie
familiale avec une belle chute. Hou hou… Vous
m'entendez ? Seigneur, si vous êtes là, écoutez-moi. Je vous le demande.
C'est pour un service. Matthieu est sur le devant de la scène… Il est en
train de passer son bac ! Faites qu'il l'ait. Faites l’impossible. Il a bossé
des mois, il le mérite. Et puis faites que la paix revienne à la maison… Parce que les Grandes
Révisions, c'est pas de la tarte, croyez-moi. Plus jamais ça ! L'ambiance
était tendue comme du fil barbelé. Ton fils par-ci, ton fils par-là… Ton fils
est un cancre ! Pas du tout sur la même longueur d'onde, les parents.
Papa est prof de philo. Il veut la mention, sinon il devient bouddhiste.
Maman, elle s'en fiche complètement, de la mention. Si Matthieu a son bac,
elle débouchera le champagne. Elle l’a promis. Même au rattrapage. Seigneur. Ecoutez-moi.
Deux mois que mon frère dort pas. Deux mois qu'il vide du Coca jusqu'à deux
heures du matin ! Pour tenir ! J'entends encore sa voix monter derrière la
porte… L'autre jour, c'était la politique agricole de la Chine. On nageait
dans les rizières. Du riz, du riz, et encore du riz. Notez, il en faut, pour
nourrir tout ce monde. Un milliard de Chinois, et autant de bouches… Soyez
cool. Il faut qu'il tombe sur la Chine. Faites ça. Un bon mouvement. Pékin et
les Pékinois. Au pif. Ou alors les exportations du Japon. Il les sait sur le
bout du doigt. Et puis pas trop de géométrie s'il vous plaît. Des problèmes
simples, pas de théorie de la relativité. Pas de logarithmes, pas de
polygones compliqués. Ni de para… paraléllé… parallélébipèdes. Quatre côtés égaux, c'est amplement
suffisant. Question latin, allez-y mollo. Je vous le demande. Pendant les Grandes Révisions, Papa s'est fâché. Matthieu avait traduit : "Escalope est une belle rose." Au lieu de : "La rose d’Esculape est belle." Et rebelote, avec Matribus. Cette fois-ci, il a vraiment cru que c'était un prénom féminin ! Ça donnait : "Matribus dit à ses fils qu'ils sont courageux." Maman a gloussé. Elle a dit qu'il avait beaucoup d’imagination. Papa riait pas, lui. Pas du tout. Il grinçait des dents. Il est devenu mauve. Il a obligé Matthieu à recopier : "Les fils disent à leurs mères qu’ils sont courageux." Cent fois. Pas de quoi se mettre dans un état pareil. Je sais. Pendant les
Grandes Révisions, Matthieu a beaucoup juré. Faut l' pardonner. L'anglais,
c'est pas son fort, surtout à l'oral. Vous connaissez l'anglais, vous ? Pas
facile à prononcer, les ZE, les ZAT, les ZISS… ZISS IZ A CAT. A propos de chat,
vous nous avez pas gâtés, avec Pathos. C'est du malus cattus. Un vrai monstre pendant les Grandes Révisions.
Féroce, jaloux. Sournois. Et papivore. Il venait dans la chambre. Miaulait,
sautait sous la lampe. Faisait ventouse sur les copies doubles. Matthieu le
repoussait. Vlan ! Il se déchaînait. Un tigre. Lancé, toutes griffes
dehors, sur les beaux résumés. J'vous l’ dis : Matthieu, il a un sacré
mérite. C’est pas sa faute s’il a piqué une colère l'autre jour. Il restait
rien du cours sur Papino. Pathos en avait fait des confettis. Heureusement
que Papa le sait pas. Maman, elle s'en fiche bien, de Papino. Elle en a
jamais entendu parler. Y a que moi et Matthieu qui savons comment Papino a
été liquidé. Et puis vous. Alors
maintenant, un beau geste. Faites qu’il tombe pas sur Papino. Personnellement,
Papino, j'ai rien contre. Je trouve ça plutôt joli, comme prénom.
Sympathique. Et très répandu, faut croire. Le Papino de la leçon, il était
106ème ! Ce qui veut dire que 105 types se sont appelé Papino avant
lui. Rien que ça. Un type qui s'appelle Papino peut pas être un salaud. Va chercher le poulet, mon petit Papino.
Le gars, il y va tout de suite, à la boucherie. En trois cloche-pied et deux
saute caniveau. Tiens, voilà Papino. Ce cher Papino… Il est populaire.
Forcément, avec un prénom pareil. Le boucher, il lui refile une
saucisse. Matthieu vient de
rentrer. La porte a claqué. Oh la la. Mon Dieu, mon Dieu. Il tire une de ces
têtes ! Voilà que Papa rapplique… Seigneur ! ! ! Faites qu’il
ait pas eu Papino ! ! ! * Il fait nuit. Je
n’arrive pas à dormir. Tout ça, c'est de votre faute. Toute la journée, Papa
a pas arrêté de geindre. Mais qu’est ce
que j’ai fait au Bon Dieu, qu’est ce que je lui ai fait… C’est vrai, ça !
Qu’est ce qu’on vous a fait ? Répondez ! Hou hou ! Des jours que je prie pour
Matthieu ! Que je vous guide pour son bac ! Alors pourquoi vous m’avez pas
écouté ? Vous l' faites exprès ou quoi ? Il a pas eu la Chine.
Ni le Japon. Il a tiré le sujet sur Papino. Cent sixième du nom. Il a pas
paniqué. Il a farfouillé dans ses souvenirs et il y est allé vaillamment. A
la guerre, comme à la guerre. Il
était à peine rentré que Papa lui arrachait sauvagement son brouillon… En ces temps reculés où régnait
l'obscurantisme, ça plaisantait pas avec la religion. Pendant dix ans, le
Languedoc a senti le roussi à cause des bûchers que le chef de l'église
allumait le week-end contre ceux qu'étaient pas croyants. Car Papino 106
était intransigeant… Papa a viré
tomate. Il a rayé le nom de Papino. Plusieurs
fois. Puis il a écrit en rouge au beau milieu de la feuille : Pape-Innocent-VI ! * © Désirée BOILLOT « Mais
non Mademoiselle. Pas Braquemart. Traquemart. Antoine Traquemart. De la part
de Thérèse Lacolle, du réseau du même nom. Il me connaît très bien. Oui.
Urgentissime. Je patiente ». …
Et comment que je vais patienter ! Quand Traquemart saura ça, il va en
tomber de sa chaise ! Non, franchement, que feraient les organisateurs
des concours de nouvelles, sans quelqu’un comme moi pour tirer la sonnette
d’alarme ? Grâce à Dieu, je suis là ! Les textes éparpillés un peu
partout dans l’hexagone sous des titres différents, les présélections qui
comptent pour du beurre, les envois remarqués que l’on recycle tous azimuts,
c’est terminé ! Adieu la resquille ! De l’inédit, sinon rien !
Et que l’on ne s’avise pas de prendre la défense de Trucmuche, dont la
nouvelle a subi une ablation de paragraphe à l’impression ! Même amputé
de ses verbes, tout écrit figurant dans un recueil local doit impérativement
sortir du circuit ! Pure question d’éthique. Heureusement que je peux compter
sur ce logiciel ultraperformant pour mener ma croisade ! Que ferais-je,
sans mon « Truffier »?… Le brave petit a déjà répertorié plus de
cinq mille noms d’auteurs, et deux fois plus de titres ! Il passe tout au
crible ! Si mes troupes d’espions sont à pied d’œuvre trois cent
soixante cinq jours par an, c’est grâce aux progrès de la technologie. La
liste noire des fraudeurs ne cesse de s’allonger. Toutes les associations de
France et de Navarre prônant le récit court en recevront un exemplaire d’ici
l’été, avec copie au Proc… -
Allô Thérèse ? Quel bon vent vous
amène ? -
Celui du Grand Nord, cher ami.
Dans le genre cachottier, vous vous posez là, dites donc ! -
Quoi, moi ? -
Parfaitement, vous. Ne faites pas
l’innocent. J’apprends à l’instant par un mail d’Oscar Taupiaud que les
résultats du concours « Histoires de soutanes » viennent de
tomber ! -
C’est exact. Ils seront affichés
sur le site d’ici une dizaine de jours. Je dois prévenir le laur… -
Vous n’en ferez rien. Il y a
encore eu un cas de fraude. Gravissime. Votre Gaston Bouillote est un
dangereux récidiviste. Son texte, « Les
curés crachent pas sur le cash », a déjà remporté le jackpot ! -
Laissez-moi vous dire une chose
Thérèse : vous commencez à nous pomper l’air, avec vos filatures ! -
Tout doux mon ami. Méfiez-vous.
Je pourrais fort bien vous dénoncer auprès de Mocourant, le Président du
Comité d’éthique de mon réseau… -
Des menaces, maintenant ! -
A ce jour, Bouillote a raflé
trois prix en numéraire pour cette nouvelle, vous entendez ?
TROIS !!! -
Et alors ? Il n’y a pas mort
d’homme. -
Boullay-les-Troux, 1972 !
Chambourd-les-Platanes, 1981 ! Lemar-sur-Pilami, 1990 ! Tous les neuf
ans, ce maniaque balance la purée ! En 72, la première mouture des curés
s’intitulait : « Pas de
presbyte au presbytère » ! En 81, « Les curés arnaquent la chorale » ! Ce Bouillotte est un fléau de la pire
espèce, à éliminer d’office ! Allez ! Du balai ! Deuxième
nom ? -
Madame Grignon, Bernadette… -
Titre de l’œuvre ? -
« Illumination à l’église ». -
Ouh la la. Méfiance. Par le
passé, cette Grignon a déjà pondu une histoire de révélation. Lisez-moi
l’incipit, et plus vite que ça. Truffier est en route. -
Truffier ? Kézaco ? -
Mon logiciel anti-fraude,
pardi ! -
C’est Sarko qui vous a formée, ma
parole… Voyons la première phrase… «Un
dimanche d’été, alors que les voix de la chorale montaient dans la nef, sans
doute touchée par une lumière divine, je réalisai soudain que « Oh,
Gethsémani » ne signifiait pas « Oh, jette ses manies », comme
je l’avais toujours pensé… - Stop. Vous m’éliminez cette prose, et
plus vite que ça. Je la connais par cœur. Elle a été lue en public à
Saumur-Les-Bidons en 74. Troisième nom ? -
Fernand Cépalire. Avec un
« C ». -
Titre de l’œuvre ? -
«Un crapaud dans le bénitier». -
Allons bon. Une petite enquête
s’impose, histoire de localiser ce concurrent dans la nébuleuse des
pseudonymes. Je vous rappelle dans la foulée. …
Ce prête-nom pourrait bien cacher mon ennemie jurée, Mathilde de Morteaux.
Consultons Truffier… Cépalire avec un « C ». La recherche est
lancée… Croisons-la avec le titre, « Un
crapaud dans le bénitier»… Elargissons l’enquête sur les vingt dernières
années… Tiens ! C’est bien ce que je pensais ! Mathilde de Morteaux, née
Socys, en troisième position à Saint-Martin-Les-Petits-Cailloux, janvier
77 ! Pincée ! Bravo, Truffier.
Rappelons notre ami… - Allô,
Braq… Traquemart ? Vous m’éliminez illico ce Fernand Cépalire. Il s’agit de
Mathilde de Morteaux, primée en 77 dans l’Isère. Quatrième nom ? -
Vous êtes d’un pénible !
Frank Oliver Gibbon. - Titre ? -
« L’enfant de choeur ». - Ensuite
? -
Pierre Citron pour « La tête dans le calice », Esther
Olléac avec deux « l », pour « Mon ami le bedeau »… -
Stop. Vous connaissez les
nouvelles règles ? Au-delà de six fraudeurs, on annule. Purement et
simplement. -
Vous êtes un monstre, Thérèse. -
Si vous continuez à m’insulter,
je vous expédie dans la liste noire des concours, ça va pas traîner !
Mettez-moi en attente, je n’en ai pas pour longtemps… …
A l’attaque. Ah, le doux ronron de Truffier… Et comment qu’il va m’éliminer
tous ces parasites… Gibbon, Frank Oliver… Rien… Voyons voir sous « Enfant de chœur »… Qu’est ce que
je disais ! Le texte figure dans la 12ème édition du recueil
des Editions Payard, en basse Vendée. Zou ! Un de moins. Passons à
Pierre Citron… Le titre de sa nouvelle ne m’est pas inconnu… Et pour
cause ! « La tête dans le
calice », paru dans la gazette de la Ligue des Auteurs pour la
sauvegarde du point virgule, en août 94 ! Parfait. Quant à Esther
Olléac, j’en fais mon affaire…. On va voir ce qu’on va voir ! -
Allô, Braq… Traquemart ? Vous me rayez
les noms de Gibbon et Citron. Même motif, même punition. Déjà primés. En
revanche, rien sur Esther Olléac. Pas le moindre indice. On peut dire qu’elle
vous sauve la mise, celle-là ! - A
ceci près que son histoire est une jolie guirlande de poncifs… L’héroïne
passe son temps à courser le bedeau derrière les piliers de l’église… Pour
reprendre l’expression de Flaubert, c’est plat comme un trottoir de
rue ! -
Je vous fais grâce de vos
commentaires, mon p’tit vieux. Vos goûts et vos couleurs, vous pouvez les
remballer. Seul, le comité de lecture est roi. Aboulez la date de la remise
des prix, pour mes statistiques. - Le dimanche de l’ascension… -
Eh bien voilà. -
Une dernière chose : le concours
ne sera pas reconduit en 2007. Que le Diable vous emporte, vous, vos sbires
et votre Truffier ! …
L’’affaire est dans le sac. Rien de tel qu’une bonne anagramme pour passer
inaperçue… Le jour J, j’enverrai Taupiaud chercher ma médaille. * © Désirée BOILLOT Jours, heures, semaines,
tout défile à très grande vitesse ; toutes les feuilles de l’éphéméride
s’envolent derrière les collines. Rien n’est plus beau que ces coulées
ardentes au flanc des coteaux, cette arrière-saison en majesté, et non,
décidément, les sanglots longs des violons de l’automne ne sont pas pour lui
aujourd’hui ! Adieu passé, adieu anonymat, adieu, misérable, haïssable
routine ! Le train l’emporte vers cette gloire qui lui fait de l’œil
depuis qu’il écrit et qui tant de fois s’est dérobée à lui, cette gloire que
tous les concurrents appellent de leurs vœux et qui l’attend, là-bas, toute
neuve et palpitante, étincelante dans son habit de lumière. Cela fait si longtemps
qu’il en rêve ! Par la vitre, c’est un feu d’artifices de couleurs, un
embrasement rien que pour lui, Ferdinand Pinsard, premier prix de
« Plumes d’Or », un concours d’écriture auquel il a participé au
dernier moment, grâce à son ami Paul. Il lui doit une fière chandelle. Il
entend encore sa voix, au téléphone, sa voix vibrante l’incitant à saisir son
stylo : Il y a un éditeur parmi le
jury, rends-toi compte mon vieux, c’est l’occasion ou jamais, vas-y, fonce ! Et il a foncé. Il n’a
pas tergiversé, il s’est enfermé dans son bureau, et s’est jeté sur le papier
comme si c’était la seule échappatoire. L’histoire d’une errance qui finit
mal s’est imposée comme une évidence sous sa plume ; il faut croire qu’il
portait cette nouvelle en lui depuis très longtemps. Il l’a même donnée à
lire à Paul, lequel n’a pas tari d’éloges, et lui a garanti qu’avec un texte
de cette qualité, il remporterait forcément un prix. Comme il avait
raison ! Le train entre en gare.
Ferdinand est fin prêt pour son premier grand rendez-vous avec la
littérature. En descendant sur le
quai, il observe la foule grouillante autour de lui, tous ces inconnus à qui
son nom ne dit rien pour l’instant, et il les imagine se bousculant autour
d’une table couverte de ses livres, avec son nom étalé en grosses lettres sur
le bandeau, et son visage en noir et blanc, sur la quatrième de couverture.
Il sort de sa poche de veste la lettre d’invitation à la remise des prix, lui
confirmant qu’il sera interviewé par l’éditeur en personne, et dans la foulée
il relit le palmarès, où figure son nom, tout en haut de la feuille, son nom
de vainqueur en caractères gras, Ferdinand Pinsard, Premier prix, devant le
Prix Régional, la fameuse Mathilde Mouton, qui squatte sans cesse la première
place. Or aujourd’hui, bernique ! Dans moins d’une heure, c’est lui qui
sera au sommet du podium avec une couronne de lauriers sur la tête, lui seul,
et non l’agaçante Miss Mouton qui ira brouter un cran plus bas, sous le
rayonnement de son aura. Il quitte la gare, le
cœur en fête. Il connaît par cœur l’itinéraire qu’il doit suivre, les noms
des rues lui sourient, les majestueux marronniers semblent avoir été plantés
uniquement pour sa venue dans la ville, tout est là pour glorifier sa
trajectoire de numéro un ; il attaque le bitume d’un coup de talon
euphorique, déjà il discerne le bâtiment de la mairie, un très beau bâtiment
du dix-neuvième siècle, celui de Victor Hugo, Balzac, Flaubert, Maupassant,
et tant d’autres. En pénétrant dans le hall, c’est comme si tous les grands
écrivains le désignaient pour parler en leur nom, comme si chaque marche le
portait toujours plus haut, comme si la salle d’honneur n’attendait plus que
sa venue. A l’étage, une jeune
femme somnolente est assise à une petite table. Ferdinand s’approche,
articule son nom le plus clairement possible, mais comme celle-ci ne semble
pas avoir entendu, il le répète, fort, à haute et intelligible voix, en
prenant soin de préciser : Premier
prix de la catégorie Nouvelles, afin que l’endormie sache à qui elle a
affaire. Elle lève les yeux, une moue dubitative sur les lèvres : « Vous avez
dit : Binsard ? » -
Non, Mademoiselle, Pinsard, avec un P comme Proust, assène-t-il avec
une pointe de suffisance. La fille repique
docilement du nez, et le crayon descend, lentement, laborieusement, pointant
chaque nom, exacerbant l’attente. Enfin elle se redresse, un rictus de
satisfaction sur les lèvres : « Ils se sont gourés.
Ils vous ont mis dans les Q. Je vais prévenir le Président. En attendant,
vous n’avez qu’à parapher là… » Ferdinand dégaine son
stylo plume, et signe le plus lisiblement du monde, comme s’il voulait
imposer l’orthographe de son nom à cette idiote, puis, sans plus s’attarder,
il pénètre dans la salle. Les murs sont tendus de
panneaux de toile de jute gris clair, parsemés d’angelots gras et roses
soufflant dans des trompettes, les tapis ont été roulés pour mettre en valeur
le parquet à chevrons qui resplendit sous les lustres de perles. Au fond de
la pièce, se dresse une estrade, avec un pupitre et une table de quatre
mètres de long recouverte d’un drap immaculé. Ferdinand s’approche, soucieux
de lire sur les cavaliers les noms de ceux qui lui ont décerné sa place de
vainqueur : au total, pas moins de neuf personnes gravitant dans la
galaxie des Lettres, au cœur de laquelle le nom de Luc Bruyon, l’éditeur,
étincelle. Il s’assoit à
l’extrémité du troisième rang, pour mieux guetter l’arrivée de l’abondante
chevelure rousse et frisée de Mathilde Mouton, dont il a trouvé une
photo sur Internet. Le jury arrive au compte-goutte, parmi lequel il repère
l’éditeur, élégant dans une veste de tweed à double boutonnage et pochette de
soie rouge, qui prend place devant son cavalier. Il respire l’aisance, la
joie de vivre, sa maison d’édition a certainement pignon sur rue, c’est écrit
sur son front hâlé. Paul lui a filé un tuyau en or massif, il ne l’en
remerciera jamais assez. Le brouhaha
s’amplifie : toutes les têtes se tournent vers un petit homme
rondouillard, vêtu d’un costume bleu outremer. Il s’avance, pose ses papiers
sur le pupitre, s’affaire, règle le microphone qui émet un sifflement
assourdissant, donnant le coup d’envoi à la cérémonie. « Chers amis, nous voici réunis pour la
quatrième édition de notre concours Plumes d’Or, qui a rassemblé pas moins de
trois cent vingt-deux nouvellistes en provenance de la Francophonie, dont un
qui nous vient de la très lointaine Polynésie française… Mélodieuse, rassurante,
égrenant des mots qui coulent comme une source chaude, la voix se félicite du
taux de participation en progression constante, de l’excellente réputation du
concours, de l’aura dont il jouit, et Ferdinand pense au Tahitien qui a posté
son texte de l’autre côté de la Terre, aux trois cent vingt et un concurrents
qu’il a coiffés au poteau. ... nous avons le grand plaisir d’accueillir
le premier prix qui a fait expressément le déplacement pour nous rencontrer,
et je laisse maintenant la parole à Luc Bruyon qui va l’interroger… » Ferdinand se lève au
milieu des applaudissements. Tout en gravissant lentement les marches de
l’estrade, il devine qu’il s’agit d’un moment décisif de sa vie. Il voudrait
retenir l’instant, le savourer, en goûter tout le suc, mais Bruyon ne lui en
laisse pas le temps : il écrase rapidement ses phalanges dans sa dextre,
puis il s’empare du micro. « Mesdames et Messieurs, comme vient de vous
le dire Roger Duglard, le Président de notre concours littéraire, nous avons
cette année un vainqueur de qualité,
Fernand Poussard… -
Pinsard. Ferdinand Pinsard, précise l’auteur dans un souffle ému. … Pinsard, oui, qui nous a écrit une nouvelle tellement éprouvante qu’elle
a fait l’unanimité dès le premier tour de table. Elle nous a littéralement
scotchés, c’est le mot. Le jury a besoin d’auteurs comme vous, Fabrice, avec
cette inspiration, et ce talent narratif, unique, qui a mis tout le monde
d’accord tout de suite, façon crac, adjugé, vendu, si vous voyez ce que je
veux dire. A ce propos, si vous m’écriviez quelque chose d’un peu plus long
dans ce style, genre soixante pages, je vous publierais les yeux fermés,
pensez-y ! En attendant, voici vingt exemplaires du recueil, avec toutes
nos plus vives félicitations !» Ferdinand transpire. Il
sue. Il reste sourd aux applaudissements, sourd au fait que l’éditeur a
écorché son nom et son prénom, sourd à tout : il n’entend plus que son
cœur qui pompe comme un fou. Il balbutie trois mots de remerciement en
recevant des mains de Bruyon un gros sac en kraft contenant les recueils, une
enveloppe avec son prix en numéraire, un rectangle de papier rose signé Roger
Duglard, où s’étale en grosses lettres épaisses la mention : Premier prix du Concours Plumes d’Or
entourée d’arabesques dorées. Déjà, l’éditeur a repris le micro, lui
indiquant d’un geste qu’il peut aller se rasseoir, appelant le prix régional
à venir le rejoindre. Mathilde Mouton n’est
pas venue. Les primés défilent l’un après l’autre sur l’estrade. Ferdinand
les regarde sans les voir. Il plane à cent coudées, il est loin, il est en
train d’écrire le récit dont l’éditeur lui a passé commande en direct. Son
personnage s’avance, tout auréolé de lumière, il va d’errances en errances,
exactement comme dans sa nouvelle, seulement ses errances sont encore plus
intenses, encore plus ressenties, sa prose s’envole, elle est forte, la
couverture est barrée d’un large bandeau grenat où figure
l’inscription : Ferdinand Pinsard,
ou le talent narratif. * Sur le chemin de la
gare, Ferdinand repense à la pigiste qui couvrait l’événement, une grande
blonde ignare mais charmante d’une vingtaine d’années, avec des fossettes et
un air mutin, qui était persuadée que Madame Bovary était un vaudeville, et
situait Sartre au 17ème siècle. Elle lui a promis qu’elle lui
enverrait son article par mail et par courrier, et qu’elle veillerait
personnellement à ce que son nom figure dans la chronique littéraire du
journal local. Le train est annoncé
voie B. Des voyageurs de tous âges attendent par petits groupes sur le quai.
Il a pris un billet en seconde mais un jour, quand il sera célèbre, il aura
les moyens de s’offrir une première classe. Le wagon est bondé. Un
adolescent vêtu de jeans déchirés et d’un sweat-shirt à capuche se laisse
tomber sur le siège à sa gauche. Il visse une paire d’écouteurs dans ses
oreilles, et se met immédiatement à produire des bulles avec son Malabar tout
en battant la mesure sur la tablette. La poisse. La guigne ! Il aurait
tant voulu savourer sa victoire comme on déguste à petites gorgées un
cocktail exotique délicieusement sucré ! Avec ce gêneur, c’est fichu.
Heureusement, le train n’a pas de retard ; il vient de s’ébranler sur
les rails dans un long grincement de fer. Les barres d’immeubles et les
palissades de graffitis défilent par la vitre, puis la campagne reprend ses
droits, avec ses vallonnements, ses coulées d’arbres roux, ses collines en
pente douce que viennent lécher les derniers rayons du soleil. Le moment tant attendu
est arrivé. Le cœur battant, Ferdinand tire de sa sacoche le paquet contenant
les recueils. Il le tourne, le retourne entre ses paumes. Le soupèse. Le
hume. Le papier kraft exhale une délicieuse odeur de papier kraft. Il
s’apprête à lire, à côté d’un mâcheur de chewing-gum qui ne sait pas ce que
signifie l’acte d’écrire, qui ne sait rien de la littérature et des
rendez-vous grandioses qu’elle est capable de donner. Il décolle la languette
avec soin, extrait du sac en kraft un premier exemplaire, dont il essaie de
comprendre le dessin de couverture : un motif pisciforme, contenu dans
un triangle grisâtre esquissé à grands jets de pinceaux, lui-même compris
dans plusieurs cercles d’un jaune pisseux, avec, au premier plan, deux formes
rondes et rouges, mi-fruits mi-légumes, plaquées sur une sorte de barque, le
tout signé Roger Duglard. Du figuratif, sans doute. Il ouvre le recueil,
passe vite sur l’avant propos, les mentions particulières, les salamalecs à
la municipalité, pour aller droit au but, son texte, intitulé : Désert.
Un titre sobre, pur, vierge de fioritures. Il lit. S’absorbe,
tandis que le train s’engouffre dans un tunnel. Brusquement, quelque
chose crève sa rétine. Il cligne des yeux pour chasser l’illusion, qui
malheureusement persiste. Il rapproche le recueil de son visage. C’est la
première fois qu’il voit le mot « moisson » orthographié avec un c
cédille. Dix lignes plus bas, l’adverbe « konkrètement » lui
décoche deux flèches au curare, droit dans les pupilles. Il sait qu’il fait
des fautes, tout le monde en fait, mais celles-ci non, elles ne sont pas de
lui, il en est sûr. A la page suivante, nouvel éclair d’horreur :
Syncrétisme, orthographié: synchréthinisme.
La faute est si grasse qu’elle le fait se tourner vers la vitre. Les petites
lumières glauques de villages perdus clignotent par intermittence dans le
lointain. Les reliefs, les couleurs, les collines et les vallées, les grands
arbres flamboyants ; tout s’estompe, tandis que de puissants effluves
d’agrumes et de saucisson à l’ail envahissent le compartiment. Son voisin
rabat sa capuche sur sa tête, éructe et se lève en collant son chewing-gum
sous la tablette. Ferdinand serre les
dents. Il a beau être écœuré, il reprend sa lecture. Page sept, son cœur
zappe un battement. C’est impossible. Il bée. S’il le pouvait, il hurlerait.
La phrase clé de son histoire, sur laquelle repose l’édifice, a été amputée.
La première proposition, qu’il a modelée comme on travaille un bloc d’argile,
est passée à la trappe. Un peu plus loin, c’est un paragraphe entier qui a
sauté, comme s’il avait fallu compresser coûte que coûte sa prose sublime sur
quatre pages. La nuit dévore
l’espace, offrant à son regard un vertige de noir derrière la vitre. Il ne
peut pas y croire. C’est un mauvais rêve, une sale blague. Il a dû tomber sur
une première épreuve, que quelqu’un aura glissée par erreur dans l’enveloppe…
Dans un geste de rage, Ferdinand arrache du sac en kraft les dix-neuf
exemplaires et les ouvre à la file, cassant leur tranche d’un coup de poignet,
faisant sauter la mince couche de colle, luttant contre le désespoir. Tous sont
rigoureusement identiques. Même son nom de gagnant
n’a pas échappé au carnage. Pinsard est devenu Pinard. * © Désirée BOILLOT A la banque Donald and Donald,
baptisée « DoDo » dans le milieu des banquiers, c’était comme
partout au fond : on trouvait de tout, à tous les étages. Des cireurs de
pompe, des pousseurs de stylo, des tireurs de couverture à soi, des
empêcheurs de tourner en rond, des inspecteurs des travaux finis, des
lanceurs de peaux de banane, des cadres supérieurs, des grands cadres, des
petits cadres, des assimilés cadres, des non cadres et même des individus
comme Aurore, qui sortaient complètement du cadre et le prouvaient en ratant
la sonnerie du réveil dès le lundi matin. Ça n’était pas bien
malin, d’autant que Richard Lapaire, un cadre extrêmement supérieur aux
autres, avait été embauché chez Dodo à cent mille francs le mois sans compter
les faux frais pour faire le ménage à tous les étages et donner un bon coup
de fouet à la confiance des investisseurs, mise à mal par le dernier crack.
Alors les retardataires, il n’aimait pas trop ça, Lapaire, lui qu’avait fait
poser des fers à ses talons exprès pour annoncer son arrivée dans les escaliers.
C’est pourquoi ce
lundi-là, à huit heures trente-trois, Aurore s’habilla en courant, se peigna
en courant, rejoignit le métro en courant, s’en échappa en courant, remonta
le boulevard en courant, s’arrêta pour lire en vitesse la petite annonce dans
la vitrine du Palais du Chocolat, repartit en courant, s’engouffra dans le
bâtiment et se jeta dans l’ascenseur en faisant un bruit monstre avec son
cœur qui pompait presque autant que les Shadocks autrefois. Puis il fallut
sortir de l’ascenseur le plus discrètement possible, raser les murs au plus
près du papier, se glisser à sa place sans faire grincer la chaise, et ça,
c’était une autre histoire. Y’en a qui prennent leurs zaises ! beugla Lapaire en se
retournant, et toutes les têtes convergèrent vers Aurore qui persistait à
ignorer que le temps, c’était de l’argent, surtout chez les banquiers. Ne pas
pouvoir se réveiller quand on s’appelait Aurore, c’était tout de même un peu
fort de café, murmurait-on dans les allées. D’autant que c’était à elle de mettre
à jour les performances des trois cent trente trois fonds d’investissement de
Donald and Donald, à elle d’informer les clients que le fonds Sérénité, entre
le lundi 7 et le lundi 14, avait progressé de 0,07%, une progression
rogermourienne témoignant de la profonde stabilité de ce placement dont
raffolaient les pères de famille. C’était elle, la petite main, la non cadre,
l’employée toujours en retard, qui avait été désignée pour noircir la grille
Excel de pourcentages frais, un vrai boulot exaltant placé sous l’entière
surveillance de Lapaire. En piste ! hurla-t-il, une expression qui donnait
immédiatement à Aurore l’envie de rugir. C’était comme ça. Elle n’y pouvait
rien. Mais ce jour-là elle se retint. Rugir en ce lundi eût été déplacé. Il
fallait obéir au cadre haut placé. Elle s’assit, s’empara d’une main de la
feuille des performances, appuya de l’autre sur la touche « On » de
l’ordinateur, qui émit un Glong de
départ, puis un Scrouik de chauffe,
enfin quatre notes de bienvenue, et en avant les p’tits amis, dans la joie et
la bonne humeur, car qui rit le lundi, c’est toujours ça de pris. Aurore plongea dans les
chiffres, avec Lapaire dans son dos qui faisait tinter les pièces au fond de
ses poches. C’était là son jeu favori. Diling, diling, diling. Ça se passait
comme ça, chez Donald and Donald : les cadres surveillaient les non
cadres en faisant sonner leurs falzars. Et tandis qu’Aurore tapait des
nombres qui commençaient tous par Zéro, elle déprimait. Déprimait, déprimait,
déprimait. Elle déprima tellement
qu’à la ligne cent vingt-huit, elle s’arrêta. Net. Pour qui sont ces zéros
qui filent mal à la tête ? se demanda-t-elle, perplexe. Comme elle eût
aimé pouvoir mettre des Un à la place ! Cela eût assurément contribué à relancer
la confiance des investisseurs. Allez, Un, se dit Aurore en voyant Lapaire
qui s’acheminait à pas ambitieux vers le distributeur. Elle enfonça d’un
doigt hésitant la touche 1. Rien ne se passa. Le monde resta ferme sur ses
bases. Soulagée, elle se mit à fixer l’écran où elle aperçut une libellule
verte, aussitôt rejointe par une libellule bleue. C’était beau. Sublime. Les
deux libellules agitaient leurs ailes arachnéennes. A la ligne suivante, elle
tapa un 2 enthousiaste. L’écran lui souriait, et elle souriait à l’écran,
priant pour qu’une troisième libellule fît son apparition. Sans doute
adoptait-elle la bonne attitude face au travail, car Lapaire, après avoir bu
son café, ne jugea pas utile de venir voir où elle en était en remuant le
flouze dans son futal. Il regagna sa table et empoigna son téléphone, nous
laissant la possibilité d’ouvrir une parenthèse : (Lapaire adorait faire
joujou avec ses téléphones qu’il ne délaissait que pour assister à des
réunions durant lesquelles il gribouillait des mots qui, mis ensemble,
composaient de splendides notes de service commençant toutes par :
« à l’intention personnelle du petit personnel », pour que celui-ci
eût enfin quelque chose d’intéressant à lire dans le métro en rentrant le
soir, fermons la parenthèse.) Pianotant sur le cadran, il poussa à fond le
volume du haut-parleur, afin que la salle entière pût profiter pleinement de
sa parfaite diction oxbridge : Hello, Mark, how are you
doing ? Ça gaze, répondit Mark qu’était français, j’ai plein de tuyaux à te refiler pour empocher un maximum de blé en
un mi… et là, couic. Plus rien. Son coupé. Circulez, y a rien à voir. E
finita la comedia. La suite concernait Lapaire et personne d’autre. Et
pendant qu’il adressait à son interlocuteur des hu hu et des hin hin
d’approbation, Aurore commença à compter les libellules qui voletaient à
l’écran. Le chef en avait pour un moment. Elle avait de la marge. Elle
pouvait compter les libellules. Y en avait plein. Des mauve. Des parme. Des
bleues, des vertes. Dieu que c’était joli, ces libellules légères qui
faisaient toutes sortes de figures pour les beaux yeux d’Aurore, des
loopings, des huit, des double salto avant et des pirouettes arrière. Il en
venait de partout. A la quatre vingt dix-neuvième, une voix tonitrua dans son
dos : Non mais qu’est ce que vous foutez ? Vous voulez un
hamac ? A ces mots, toutes les
libellules s’envolèrent. Lapaire faisait des cla-clo nerveux avec sa langue
en faisant sauter le fric au fond de son froc. Ça chauffait. Il n’y avait pas
de temps à perdre. Les doigts d’Aurore partirent au grand galop sur les
touches. Ils firent si bien crépiter le clavier que Lapaire interrompit
brusquement tout bruit de bouche, regagna sa table et décrocha le téléphone. C’était l’heure de
« l’appel à Geneviève ». Son épouse. Qui attendait ses ordres en
filant la laine à sa fenêtre à meneaux. Achète
du Pliz. Appelle ma mère. Cire mes godasses. Ainsi le large spectre de la
vie domestique était-il balayé comme il le méritait. Ce lundi-là, Lapaire fit
de son mieux pour que chacun puisse entendre qu’ils seraient douze à dîner,
mais que comme Poulard bouffait comme quatre, fallait au moins compter cinq
kilos de saumon. Bon c’est pas tout ça,
mais faut qu’j’ te laisse, je file en réunion puis je lunche à la Maison du
Câviâr, claironna-t-il. A ces mots, Aurore aperçut, tout au fond de la
salle, suspendu entre les panneaux qui donnaient l’heure à Londres et à
Tokyo, un grand hamac convivial en feuilles de pandanus. Lapaire était parti.
C’était le moment d’aller prendre un café. Ou un Royco Minute,
Soupe. Ce qu’on voudrait. Quand Aurore regagna sa
place, l’ordinateur s’était mis au repos. Il avait une fâcheuse tendance à
pratiquer comme elle la veille automatique. Elle tapa des chiffres dans des
cases, pour le ranimer, tip, tap, tip, tap, tipétipétap, tout en faisant un
compte à rebours. A treize heures quarante sept, elle avait rempli toutes les
cases. Elle avait le tournis. C’était bien. C’était beau. Les richesses
avaient été redistribuées aux quatre coins du monde. Les actions d’Amérique
latine s’étaient sévèrement remusclées. Celles de Malaisie aussi. Les fonds à
risques faisaient mentir tous les pronostics de Jean Pierre Legaillard. Même
les fonds émergents avaient bondi de 47%. Les investisseurs seraient contents.
Sauvegardant son document, elle l’envoya à toute la clientèle de Lapaire. Puis elle eut faim.
Autour d’elle, la salle était vide et les écrans noirs. Elle descendit les
escaliers, puis elle se mit à courir jusqu’au Palais du chocolat. D’une traite. L’annonce était encore
là. Elle entra dans la boutique, et se présenta au gérant sous son meilleur
profil. Aurore Cortès de Cruz de la Plata. Arrière-arrière-arrière petite nièce du grand-oncle du type à qui
l’Europe doit la découverte du cacao. Bien, fit le gérant. Nous
cherchons une vendeuse bilingue. Il y a beaucoup d’espagnols par ici.
Etes-vous bilingue ? Ma que si, improvisa Aurore. Le gérant s’abîma dans
des pensées profondes. Puis il ouvrit un tiroir et sortit un contrat. Voulait-elle
commencer tout de suite ? Por favor, remercia Aurore. * © Désirée BOILLOT _______________________________________________________________ Deux textes de Désirée :
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