Une nouvelliste : Magali DURU


Magali est une bête à concours. Tout nouvelliste qui se respecte envie ses trophées. Elle a obtenu, entre autres, des prix prestigieux comme celui de Maisons-Laffitte et celui de la ville de Castres organisé par l'Encrier Renversé. La nouvelle qui suit vient de passer un mois sur le site de Nouvelle au Pluriel. Magali me fait le plaisir et l'honneur de m'autoriser à la mettre en ligne. Je l’en remercie. Bonne lecture à tous.


COMPENSATION

Magali DURU

Vous allez à la boîte aux lettres, vous traversez la cour en pensant qu'il faudrait déjà tailler la haie. Vous choisissez la bonne clé dans le trousseau et factures, magazines, publicités, tout vous croule dans les bras. Vous déposez la manne sur la table ronde de la terrasse et vous décachetez.
Le cholestérol n'est pas très haut, merci. Il dépasse un peu par ci par là, surtout le mauvais, mais il paraît qu'il faut « péréquationner» ça, au final. Heureusement que vous ne fumez pas, enfin si peu, vous échapperez au deuxième facteur de risque, donc à une discussion embarrassante avec votre médecin. Mais pas au couperet de l'âge. Plus que six mois. Ensuite, il faudra évacuer les rillettes.

Six mois de sursis, donc. C'est la seule bonne nouvelle, il faut la savourer, parce que trois autres courriers vous informent que votre participation aux concours littéraires organisés par les villes de T., . , et R .. et V . est des plus souhaitable, ou même absolument nécessaire en 2007, bien que vos textes n'aient aucunement suscité l'intérêt de ces jurys en 2006, qui ont préféré "Rêve d'amour" et "Un geste d'amitié". Vous êtes donc convié(-e) à méditer sur "La Lune", "le Désir" et "L'Egoïsme" en 12 000 caractères, double interligne et marge de 3. La copie est à rendre dans neuf mois, sauf cas de prématurité.
Reste une demi enveloppe grise, venant d'une ville où vous savez par Internet depuis une quinzaine avoir été, non pas le seul et unique prix, fort bien doté, ma foi, mais parmi les dix premiers lauréats. Elle contient une boîte de la taille d'une cassette vidéo enveloppée de joli papier à motifs. Vous déballez. C'est bien un boîtier de cassette, tout blanc, sans la moindre inscription ou illustration. Votre coeur bat un peu: un film ? Un film culte, peut-être, en noir et blanc, un Renoir, un Cocteau? Ou bien un film plus grand public ? Les enfants seront contents ? Mais pas d'image, pourquoi ? Classé X? Le mari/la femme/l'amant/le giton sera-t-il/elle content (- e), choqué(-e) ?
Vous déchirez le blister, vous vous colletez avec le scotch. Il cède, le boîtier s'ouvre.

Tombe sur vos genoux un pavé aplati de bois si clair qu'il ressemble furieusement à du plastique. Mais non, vous grattez de l'ongle le coin déjà un peu écaillé, c'est du bois.
Un bec de métal brillant, articulé sur son axe, est fiché dans le quart supérieur droit de l'objet. Vous l'actionnez, rêveur(-euse), deux ou trois fois. Vous notez que l'objet est creusé en son centre d'une cavité plate. Vous l'inclinez à la lumière et sous le bec, apparaît, pyrogravée, la silhouette d'un livre sur lequel est posée une lampe d'Aladin. Au-dessous, plus claire, une inscription. Vous vous munissez de vos lunettes de vue, et vous sursautez devant votre nom. Vous déchiffrez le reste : la Municipalité de C.... , à X...Y, 3° prix du second concours de nouvelles. Du boîtier secoué tombe un étui transparent, contenant un stylo bille en plastique noir. Quelques essais de plus en plus énergiques au dos d'une enveloppe révèlent qu'il ne marche pas. Alors, pris(-e) d'une intuition, vous le saisissez, vous l'adaptez d'un geste sûr au bec de métal doré. Et miracle, il s'y ajuste à la perfection. Il tient à la verticale même, si vous le souhaitez. Vous en faites varier l'érection, pensivement.

Vous vous levez, vous emportez à la cuisine le fatras qui encombre la table de la terrasse, et après en avoir extirpé les résultats d'analyse, vous mettez le reste à la poubelle. Puis vous mettez aussi les analyses à la poubelle, car soudain, vous vous sentez un petit creux et il n'y a que des rillettes à tartiner dans le frigo. Vous avalez la demi baguette, puis vous faites un tour sur vous-même, l'air de qui réfléchit, a perdu son idée, regrettant de ne pas avoir fait tester Alzheimer dans la foulée.
Mais ah, oui, ça vous revient!
Alors, vous descendez au sous-sol chercher le taille-haie. La batterie est chargée, il rugit correctement. Vous sortez dans la cour, guilleret (-ette), et vous attaquez d'estoc les laurines. Ça va vous faire du bien.

 

Retour, page d'accueil.


Haut